Si la musique arabe est un arbre aux multiples ramifications, l’un de ses branchages s’appelle Sabîl. Un duo oud-percussions formé par Ahmad Al Khatib et Yousef Hbeisch,
Ahmad Al Khatib, La douleur et la douceur
Compositeur et âme du groupe, Ahmad Al Khatib maîtrise sur le bout des doigts sa culture musicale ancestrale. En continuateur déjà reconnu, il la tire vers de nouveaux développements. Dès l’âge de huit ans, il suivait l’enseignement exigeant du maître de oud palestinien Ahmad Abdel Qasem. Il accomplit brillamment un cursus de musicologie et violoncelle occidental classique. Après plusieurs années passées à enseigner au Conservatoire national de Musique Edward Saïd à Jérusalem-Est, il est forcé de quitter la Palestine, publie des ouvrages qui font maintenant référence d’enseignement du oud et de transcription musicale pour les compositeurs arabes. Depuis 2004, enseigne la théorie de la musique modale et de la composition, et la musique d’ensemble à l’université de Göteborg. En Suède, il joue avec des musiciens aimant se référer au folklore scandinave. Et si au Proche-Orient on déroule le tapis rouge pour le maître respecté, l’Occident l’invite dans les festivals de musique dites “du Monde” où il écoute avec intérêt les traditions de mondes multiples. Le créateur curieux de langages autres que celui de ses racines a ainsi eu tout loisir de faire son miel des sources d’inspiration les plus variées. Même si des racines douloureuses deviennent alors précieuses et revendiquées en proportion. Un pied dans le passé, un pied dans l’avenir : l’image convient aussi s’agissant d’Ahmad l’instrumentiste, interprète au jeu très pur et empreint de profondeur, qui explore avec constance tous les champs expressifs du oud et recherche sans répit les nuances les plus adéquates.
Ahmad Al Khatib: suffering and softness
The composer and soul of the group, Ahmad Al Khatib’s knowledge and understanding of the musical culture of his ancestors is impeccable. As their recognised successor, he develops that culture in new directions. From the age of eight, he was under the rigorous instruction of oud master Ahmad Abdel Qasem, going on to complete a university course in musicology and Western classical cello with flying colours. After several years teaching at the Edward Said National Conservatory of Music in East Jerusalem, he was forced to leave Palestine, thereafter publishing several works on oud instruction and on musical transcription for modern Arab composers which have become essential references.
Since 2004, he has taught the theory of modal music, composition and ensemble music at the University of Gothenburg. In Sweden, he enjoys playing alongside musicians interested in exploring Scandinavian folklore. Whilst across the Middle East the red carpet is rolled out for this respected master, in the West he is invited to “World Music” festivals where he listens with fascination to the many traditions from around the globe. An inquisitive inventor of languages who has gone beyond the language of his roots, he has had plenty of opportunity to feed his creative juices from all sorts of inspirations. Although he has equally come to cherish and lay claim to those painful roots. One foot in the past, one foot in the future: the image is also fitting for Ahmad the instrumentalist, a performer of great purity and depth, who is constantly exploring the oud’s entire range of expression and tirelessly seeking out its finest nuances. Ahmad Al Khatib has played with David Kuckhermann and ensembles and musicians as diverse as the Oriental Music Ensemble, Karloma, Salam(i), John Williams and the Double Duo. He has performed at all the major festivals in the Middle East and the Arab world (the Oud Days Festival in Amman, the Jerusalem Music Festival in Palestine, Tetouan International Lute Festival), as well as in Brazil, the United States (Kennedy Center for the Performing Arts), Turkey, Estonia (Tartu International Early Music Festival), India, Finland and of course Sweden and France, including the Paris Jazz Festival, Les Suds in Arles, the “Notes d’Écume” in Leucate, the Arab World Institute in Paris, the Chaillol Festival, itinerant music festival Les Nuits d’Été, Aux Heures d’Été in Nantes, Les Musicales in Normandy and Lille La Nuit, to name but a few
Youssef Hbeisch, l’énergie
Youssef accompagne Ahmad sur de nombreuses scènes. Né en Galilée, il l’a rencontré au Conservatoire national de Musique Edward Saïd de Jérusalem-Est. Il a aussi longtemps enseigné au conservatoire de Beit Al Musica (Shefa Amr, Galilée) ou animé des master class et des ateliers de percussions en artthérapie. Il vit maintenant à Paris, mais ses collaborations multiples l’amènent à voyager dans le monde entier.
Il a composé pour le théâtre et le cinéma, a accompagné Karloma, l’Oriental Music Ensemble, Simon Shaheen, Süleyman Erguner, Aka Moon, Issa Hassan, Khaled, Lena Chamamyan, Dorsaf Hamdani, Ibrahim Maalouf, Soeur Marie Keyrouz, Lo Cor de la Plana et Manu Théron, Rula Safar, Bratsch, Abed Azrié, le Projet Khoury, Philippe El Hage… Il constitue également le quatrième pilier du Trio Joubran. À chaque concert, les spectateurs sont stupéfaits par sa dextérité non dénuée d’opiniâtreté et contaminés par l’énorme plaisir qui se dégage de son improvisation. À chaque projet, Ahmad est émerveillé par la soif de musique et d’expérimentation d’un complice dont la créativité nourrit son inspiration. Musicien de l’instinct, Youssef Hbeisch trouve immédiatement sa place dans n’importe quel morceau puis y imprime sa marque durant l’étape collective de la création. Cette marque, construite au gré des trouvailles depuis qu’il est tout jeune, est constituée d’influences latines, indiennes, africaines, brésiliennes… comme du souvenir de sa mère tamisant le grain. Youssef a développé polyrythmies et polymétries à partir de sa propre culture ; il les enrichit et les embellit grâce à une curiosité toujours en éveil. Dans l’esprit des compositions de Zabad, Youssef a voulu rester sur la notion d’un son traditionnel. Il n’a utilisé que les habituels derboukas, bendir et riqq, y ajoutant quelques cymbales et clochettes pour enrichir la dynamique et l’ambiance. Il garde aussi un phrasé rythmique et des techniques qui marquent sa singularité. Son jeu confère aux compositions une ossature, autant qu’une enveloppe sonore inégalable : le contraste entre les mouvements secs qu’il imprime au riqq et les gémissements tirés du bendir serre la gorge des auditeurs les plus cérébraux.
Youssef Hbeisch: energy
Youssef is often to be found performing at Ahmad’s side. Born in Galilee, he met Ahmad at the Edward Said National Conservatory of Music in East Jerusalem. For ten years, he also taught at the Beit Almusica Conservatory in Shefa’amr, Galilee, where he ran master classes and percussion therapy workshops. He now lives in Paris, but his numerous collaborations have taken him all over the world. He has composed for the theatre and the cinema and has accompanied the likes of Karloma, the Oriental Music Ensemble, Simon Shaheen, Süleyman Erguner, Aka Moon, Issa Hassan, Khaled, Lena Chamamyan, Dorsaf Hamdani, Ibrahim Maalouf, Sister Marie Keyrouz, Lo Còr de la Plana and Manu Théron, Rula Safar, Bratsch, Abed Azrié, the Khoury Project and Philippe El Hage. He is also the fourth pillar of Le Trio Joubran.
At every concert, the audience are blown away by his tenacious dexterity, and the enormous pleasure radiating from his improvisation is infectious. With each project, Ahmad continues to be in awe of the thirst for music and experimentation of his fellow musician, whose creativity nourishes his inspiration. An instinctive musician, Youssef Hbeisch can immediately find his way around any piece of music, stamping his personal mark during the collective stage of its creation. This mark, forged from the discoveries made along the way since his earliest childhood, is composed of many influences, Latin, Indian, African, Brazilian . . as well as more personal memories, such as his mother sieving grain. Youssef has drawn on his own culture to develop polyrhythms and polymetres which he has enriched and embellished by virtue of his ever lively curiosity. In keeping with the compositional spirit of Zabad, Youssef wanted to preserve the idea of a traditional sound. Making use only of the customary darbuka, bendir and riqq, he has added some cymbals and bells to enhance the vibrancy and mood. He has also retained a rhythmic expression and a range of techniques which define his distinctive style. His playing provides the compositions with a framework as well as a sublime sheath of sound: the contrast between the sharp movements he stamps out on the riqq and the laments he draws from the bendir will bring a lump to the throat of the most cerebral amongst us.
Un cycle de guerres et de cessez-le-feu a parcouru tout un siècle le Moyen-Orient, de mains tendues suivies de pas en arrière de la Première Guerre mondiale à nos jours autour du sort final de la Terre trois fois Sainte. Et ce tableau s’est noirci pour longtemps et sous des traits encore plus sombres avec l’irruption de Daesh pour des populations victimes toujours plus nombreuses. A moins que de toujours imprévisibles, mais magnanimes, nouveaux Forgerons de la paix ne prennent la relève de Folke Bernadotte, Abdallah de Jordanie, Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin, notamment, pour remettre, encore et toujours, l’ouvrage sur le métier. Au prix du sacrifice suprême dans l’exercice de cet intrépide mais noble sacerdoce d’une réconciliation, en fait comme en droit, entre les populations de ce qu’ont été le Royaume d’Israël puis la Palestine
Georges Assima, bourgeois de Lausanne/Suisse, natif de Constantinople/Istanbul est Docteur SSP en histoire et MBA de l’Université de Lausanne. Il a été Professeur d’économie à l’Université du Burundi à Bujumbura, Responsable francophone près la Commission Fédérale des Étrangers du Conseil fédéral chargée de la politique d’intégration sociale des étrangers à Berne, Conférencier en histoire aux Universités de Lausanne et Genève.
Françoise Flore Atlan et l’orchestre de Fouad Didi
« Andalussiyat » ou Le temps de la Convivencia
avec Farid Zebroune, Youcef Bedjaoui, Youcef Kasbadji, Madgid Sebillot
Françoise Flore Atlan accompagnée à l’oud par le musicien, chanteur et pédagogue algérien FOUAD DIDI.et l’Orchestre TARAB .
Soprano invitée comme soliste sur des scènes internationales prestigieuses telles que le Carnegie Hall à New York, le Festival International de Mexico, le théâtre de La Monnaie de Bruxelles, le Festival d’Utrecht (Hollande), le Festival des Musiques sacrées de Fès, les Suds à Arles ou encore le Festival d’art lyrique d’Aix en Provence, la chanteuse Françoise Atlan a enregistré plusieurs disques primés par la critique.
Diapason d’Or, Choc du Monde de La Musique, FFFF Télérama, Grand prix de l’Académie Charles Cros… Artiste à la double culture, dotée d’une expression vocale unique en son genre, elle se passionne pour le patrimoine vocal méditerranéen tout en poursuivant sa carrière de chanteuse lyrique.
Ce concert nous invite à revenir sur une époque exceptionnelle en Espagne, quand juifs, arabes et chrétiens vivaient ensemble en paix et en ouverture à l’autre.
L’esprit de Cordoue évoque, bien avant la chute du Royaume de Grenade en 1492, la » convivencia » culturelle, sociale et intellectuelle qui caractérisait les relations entre les trois religions : judaïsme, christianisme, islam. Les métissages culturels de cette époque ont créé les somptueux répertoires des romances en hébreu et en judéo-espagnol et de la musique arabo-andalouse, née du triple héritage de la musique chrétienne ibérique, de la musique afroberbère du Maghreb et de la tradition arabe.
Artiste à la double culture, dotée d’une expression vocale, d’un style et d’une technique particulièrement originale, Françoise Atlan est l’une des plus grandes interprètes du répertoire judéo-espagnol et de la musique arabo-andalouse. Invitée comme soliste sur les scènes majeures internationales, elle a reçu de nombreuses distinctions pour ses disques dont le Grand prix de l’Académie Charles Cros. Elle sera accompagnée à l’oud par le musicien, chanteur et pédagogue algérien FOUAD DIDI.et l’Orchestre TARAB
Né à Tlemcen en Algérie, Fouad Didi chante, joue du violon et du oud depuis son enfance. Il étudie le répertoire et la technique des grands maîtres de son époque, qui l’encouragent dans sa soif d’apprendre et lui transmettent leur savoir. Le violon le passionne et devient son instrument de prédilection, bien qu’il joue avec bonheur de la mandoline et du oud.
Il a fondé l’orchestre Tarab, spécialisé dans le répertoire classique, dans le respect de la Tradition orale ancestrale. Après de nombreux concerts donnés en France et à l’étranger, il est reconnu comme étant l’un des plus brillants représentants de la musique arabo-andalouse.
Sary et Ayad Khalifé Quartet
Sary Khalife, Ayad Khalife, Florent Allirot, David Paycha
« Soobia » est un projet mêlant avec brio Jazz, musique traditionnelle orientale et musique classique à travers neuf œuvres originales.
Une mixture subtile, inédite et très imagée où virtuosité et poésie se côtoient dans un univers unique sur la scène musicale actuelle.
Laissez-vous envoûter par un duo piano et violoncelle explosif avec les frères Sary et Ayad Khalife, un duo sur lequel vont se greffer une batterie jazz et une basse.
Après son dernier album, El Mutakallimûn, dans lequel elle avait redonné vie à une série de textes de grands poètes arabes, Souad Massi revient avec un projet très personnel.
Les différents titres évoquent des pans de sa vie, et les émotions qui la traversent ; mais ses engagements et la défense de valeurs qu’elle porte depuis le début de sa carrière et dans sa vie de femme y ont également une place importante.
Avec ce nouveau projet, Souad a en effet eu le désir de mettre en avant ce qui la touche et la mobilise depuis toujours : la condition des femmes à travers le temps et dans le monde, et plus largement la défense des droits de l’Homme.
Engagée auprès du changement en Algérie, elle exprime ici son soutien à toutes les luttes qui participent à l’ouverture d’une voie : celle de l’indépendance et du droit à la dignité pour tous.
Portée par le désir profond de s’adresser au plus grand nombre, avec une musique épurée et universelle, elle tend ici un pont entre musique folk et chaâbi.
Bercée par la musique traditionnelle algéroise, elle a en effet également été très tôt influencée par la musique folk américaine…
C’est donc à un retour à ses sources qu’elle nous convie, à ses fondations musicales, empreintes de diversité culturelle.
La volonté affichée pour ce nouveau projet est également de retrouver la Souad des débuts, musicalement : instinctive, dénuée de but ; que les chansons qu’elle offre ici puissent vivre seules, par elles mêmes.
Indépendance, ici encore, cette fois face aux diktats des cases et des genres…
Nous avons le plaisir de recevoir un groupe de jeunes musiciens palestiniens du Conservatoire de musique Edward Saïd à Ramallah (Palestine) qui fait un tournée en Suisse à l’invitation de la Chorale de Wohlen (Bern).
Le Conservatoire Edward Said : In 1990, a small group of Palestinian musicians came together to look at the situation of music and music education in Palestine. There were many pockets of talent and activity in several genres, including folklore music, Arabic art music and Western classical music, but there was no central body channeling musical talent and strategizing for the future. Recognizing this, they decided to establish a music school. Over the next three years, the ground was prepared, and in 1993, the National Conservatory of Music was launched. Initially under the wing of Birzeit University’s board of trustees, the Conservatory set up its first branch in Ramallah. Forty students were enrolled alongside three part-time teachers, a secretary and a volunteer director. Read more..
Marc Loopuyt a fréquenté l’Andalousie, le Maghreb, l’Orient arabe, la Turquie et l’Azerbaïdjan pendant 45 ans. Ses voyages et ses résidences lui ont permis de forger son style propre comme joueur de oud passionné. Il est compositeur mais surtout improvisateur et créateur de spectacle à la fois originaux et traditionnels où l’invention musicale, chorégraphique et poétique est reine.
Voyageur
Parallèlement à sa nature profonde de voyageur, il est aussi musicologue, pédagogue et polyglotte spontané. Il est toujours prêt au départ pour les concerts mais aussi pour de nouveaux partages ou de nouvelles découvertes musicales sur les terrains d’Orient ou d’Occident.
Fin connaisseur du luth oriental et de la guitare flamenca, Marc Loopuyt raconte la fabuleuse histoire du oud Nahhât, façonné à Damas dans les années 1930 et porteur d’une tradition millénaire.
Publié le 4 avril 2018
par Marc Loopuyt
En 1931, Abdoh George Nahhât achève à Damas un oud qu’il signe « Abdoh George et son fils Ilias », lettres calligraphiées dans la rosace d’ivoire. Entré dans les collections du Musée de la musique en 1997, l’instrument dévoile au public son exceptionnelle facture : issu d’une dynastie de luthiers unanimement reconnue par les spécialistes, Abdoh George Nahhât était déjà considéré comme le meilleur d’entre eux, surnommé par certains le « Stradivari » du oud. Les instruments de sa production sont aujourd’hui très prisés et suscitent des recherches actives pour retisser les fils de leur histoire commune, spécifique, autant que les perspectives de leur devenir particulier. Dans le monde de l’art et de l’artisanat, Damas est l’héritière de la sophistication légendaire de la dynastie des Omeyyades (661-750). Dans le cas de la lutherie, comme dans celui de la marqueterie, sa réputation est établie dans tout le monde arabe. Comme nombre de ouds issus des différentes branches de la dynastie des luthiers Nahhât, le luth oriental d’Abdoh Nahhât a été conçu et réalisé dans un contexte corporatif et artisanal d’une grande richesse, et relève d’une qualité remarquable.
Après avoir appris les rudiments du métier aux côtés de son père George Youssef Nahhât, maître sculpteur sur pierre (nahhât) et bois, Abdoh George (né à la fin du XIXe siècle) s’associe avec son frère aîné Roufân, qui a reçu du patriarche l’enseignement de lutherie le plus complet. Doté d’un fort sens des affaires, Abdoh fait fructifier l’entreprise familiale et obtient la part du lion sur le marché des ouds à Damas et au-delà. Leur production se distingue par l’élégance des formes et par un génie décoratif sans cesse renouvelé. Soulignons à titre d’exemple la perfection réalisée dans l’incrustation de rosaces — avec de stupéfiants ajustages de bois, d’écaille et d’ivoire. Un récit légendaire, apparu à Damas au XIXe siècle et qui connut un grand succès dans tout l’Orient, relate qu’un des Nahhât s’enfermait plusieurs jours et nuits d’affilée dans son atelier et en ressortait avec un nombre de rosaces extraordinaire qu’un homme seul n’aurait jamais pu réaliser en si peu de temps… Cette coloration mystérieuse fait partie de l’aura des Nahhât.
Pour celui qui contemple un oud pour la première fois, la réaction d’admiration est toujours la même : tout concourt à l’harmonie. Or cet émerveillement ne connaîtrait pareille intensité si le maître luthier n’avait interprété les règles du métier à la mesure de son goût et de son inspiration créatrice. Le oud forgé par Abdoh Nahhât exprime une présence, une personnalité et une homogénéité remarquables par l’équilibre des lignes, des proportions et par la douceur avec laquelle le vernis reflète la lumière. La caisse est formée de quinze côtes de noyer séparées par des filets de citronnier. La face de l’instrument relève la floraison d’un jardin luxuriant dont l’unité est donnée par la frise de marqueterie, qui réunit symétriquement l’amande de la table d’harmonie en épicéa avec le manche, et que l’on retrouve autour des « massifs » que constituent les trois rosaces. Cette frise composée de petits « pavés » de couleurs contrastées est judicieusement appelée « trottoir » en Syrie. Les deux lunes sont découpées dans de l’ivoire plein ; leur motif renvoie à un thème traditionnel de l’esthétique et de la philosophie orientales : « L’arbre et les oiseaux ». Sur les branches de l’arbre se tiennent les oiseaux, dont l’un mange les fruits et l’autre les contemple. Le premier est engagé dans l’action, le second dans la connaissance. Les lunes illustrent un second thème, présent dans la poésie arabe chantée et chez les théoriciens arabes et persans médiévaux. La fitrah, le sens primordial des artisans, les poussait à repérer dans les forêts les « sujets » (arbres imposants) les plus fréquentés par les oiseaux-chanteurs : ces arbres étaient susceptibles de fournir le bois pour les plus « inspirants » des instruments… Sur ce oud, les cordes en boyau de mouton étaient mises en vibration avec un plectre travaillé dans un rachis de grande plume d’aigle, en écaille de tortue ou encore en corne.
La perfection de l’ensemble provient des proportions exactes auxquelles répondent toutes les parties de l’instrument, selon la notion de « canon » (qanoun), l’ensemble des règles qui ont tant inspiré les Grecs antiques. Dès le IXe siècle, des traités arabes tels ceux de al-Kindi puis des Ikhwan al-Safa (Frères de la pureté) transcrivent les proportions du luth et en délivrent les principes de construction géométrique, inspirés par la « science des lettres » et la symbolique des nombres qualitatifs comme celle des figures géométriques. Le musicien et théoricien bagdadien Safi al-Din al-Urmawi signe au XIIIe siècle une très belle épure de luth tracée au compas. Pas plus que les autres artisans de la même période, les luthiers de la tradition damascène n’ignorent les lois harmoniques de la géométrie. La structuration géométrique d’un oud de haute facture se rapporte ainsi aux lois de l’univers telles que les entendaient les savants et philosophes de l’Antiquité, mais aussi à un ensemble de spéculations touchant aussi bien à la cosmologie, à l’anthropologie qu’à la poésie, auxquelles se réfèrent la plupart des factures instrumentales, du Machreq au Maghreb.
Extrait de Le oud Nahhât, luth mythique de Damas, de Marc Loopuyt, Cité de la musique-Philharmonie de Paris (Musée de la musique), 2018, p. 91.
Les morceaux du Duo Jahanbeen – Nemat Solat et Wissam Balays – proviennent essentiellement du répertoire traditionnel iranien, mais aussi syrien, turc et grec. Intimement lié à la poésie, le programme du duo commence par la lecture des premiers vers du Masnavi de Rumi.
Ce concert est organisé en partenariat avec l’Institut des Cultures Arabes et Méditerranéeennes. L’ICAM a pour but de promouvoir, dans le cadre de la diversité, les cultures du Monde arabe ainsi qu’une information objective sur le monde contemporain et son évolution, la culture dans une perspective d’éducation permanente, les échanges interculturels et les contacts humains en particulier entre la Suisse et le Monde Arabe.
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