“Laïcité”, ce mot qui fâche

Le monde musulman refuse la laïcité sous prétexte qu’elle est un produit occidental, alors que tous les produits qu’il consomme viennent de l’Occident.

Al-Quds Al-Arabi | Ibtihal Al-Khatib | 13 novembre 2014

J’ai écrit un précédent article en sachant que mes mots allaient m’être renvoyés déformés. Depuis longtemps, nous alimentons le tourbillon dans lequel nous nous agitons alors qu’en réalité nous faisons du surplace. J’y ai défendu la laïcité en disant que c’était l’unique solution pour nos conflits politiques et surtout pour le confessionnalisme qui nous dresse les uns contre les autres.

Dans ce même article, j’ai également écrit que le prétexte que beaucoup cherchent à nous vendre et selon lequel “la laïcité a des fondements occidentaux” n’a aucun sens. Car même si la laïcité provient d’un espace étranger, elle n’en reste pas moins la seule solution. Les réactions d’amis et de lecteurs n’ont pas tardé.

Comme il fallait s’y attendre, on m’a sorti le sempiternel argument : la laïcité est un produit de l’Occident et nous ne voulons pas trouver notre salut dans ce type de produit ! Peu importe si nous ne mangeons, ne buvons, ne nous déplaçons, ne nous habillons et ne respirons qu’à l’occidentale. Peu importe notre dépendance génétique à l’égard de la matrice occidentale. L’important est de nous préserver de leur laïcité.

Car c’est elle, et elle seule, le diable. L’étonnant est que personne ne nous ait présenté un autre modèle qui puisse convenir à notre physionomie arabe. Un de mes amis était arrivé à la conclusion que la solution consiste à séparer la politique de la religion. Qu’on donne à ce concept n’importe quel nom, m’a-t-il dit, mais surtout pas laïcité ! Il suffit de changer l’étiquette pour que la robe s’adapte à notre physionomie arabe et pour que nos “spécificités” arrivent à entrer dans le moule. Ce que la mentalité arabe ne parvient pas à saisir est que toute idée est la résultante de la sollicitude des humains et de longs débats philosophiques à travers les âges.

Averroès [philosophe arabe andalou du XIIe siècle] a été en réalité un des précurseurs de la pensée laïque, à une époque où l’Europe était ravagée par des conflits religieux. Et beaucoup d’Européens étaient hostiles à sa profonde pensée philosophique, notamment en ce qui concerne l’égalité entre les religions, les unes et les autres n’étant que différentes manières d’atteindre Dieu. Ainsi donc, le vrai début de la laïcité était peut-être constitutivement arabe et philosophiquement musulman.

Est-ce que pour autant les critiques [de l’Occident] vont s’accommoder de cet héritage d’Averroès ? Est-ce que pour autant ils accepteront cette laïcité pour arrêter les flots de sang qui coulent en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et ailleurs ? Y a-t-il une meilleure solution que de séparer la religion de la politique, en assurant à tous – croyants et non-croyants – les mêmes droits ? L’objectif de cet article n’est pas d’expliquer les principes de la laïcité, ni d’en vanter les mérites. Nous les connaissons tous à travers nos voyages – ou notre émigration – dans les pays laïques de l’Occident, où nous sommes traités d’une manière nettement meilleure que dans les pays musulmans. Et nous ne respirons librement que lorsque nous quittons les cachots de nos pays religieux.

Ne devrions-nous pas être un peu plus modestes [dans nos diatribes antioccidentales] alors que même pour nous moucher nous nous servons de papier occidental ? Ne devrions-nous pas examiner la substance de la philosophie laïque plutôt que ses origines, ses effets plutôt que sa généalogie ? Elle n’est pas convenable, dites-vous ? Elle n’est pas de votre rang ? [Bon, ne la prenez donc pas pour épouse.] Prenez-la comme maîtresse et vous verrez bien comment votre vie s’en trouvera changée.

—Ibtihal Al-Khatib
Publié le 9 octobre 2014 dans Al-Quds Al-Arabi (extraits) Londres Retrouver l’article dans le Courrier international

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire