Deux articles de Colette Khalaf sur deux expositions de l’artiste palestinien Abdel Rahman Katanani
À la galerie Agial une tornade avoisine un olivier. Point commun entre ces deux éléments ? Le fil barbelé, que l’artiste a réussi à tordre pour réaliser ces magnifiques compositions. À couper le souffle…
Colette KHALAF | OLJ18/05/2015
Il est né dans un camp palestinien, séparé du reste du monde par des fils barbelés. Avec le temps, Abdel Rahman Katanani a réussi à faire oublier la laideur de ces lianes métalliques, voire à les sublimer. Entre ses mains, ces fils sont devenus, à une certaine époque, des cordes à sauter pour les enfants du camp, des cerceaux, ou encore des ballons. Aujourd’hui encore, après une résidence à la Cité internationale des arts à Paris (d’octobre 2013 à janvier 2015), l’artiste a ramené dans sa valise un travail qu’il a achevé in situ, à la galerie Agial. Le point avec cet artiste sorti de l’ombre, de la mélancolie d’un camp, pour atteindre le beau, l’absolu.
Abdel Rahman Katanani, êtes-vous tornade…?
Cela va vous étonner, mais je suis plutôt tornade. Ce travail est en effet sujet à plusieurs interprétations. Alors que selon beaucoup d’observateurs, la tornade est un élément ravageur et destructeur, pour moi, ce vent circulaire, qui grimpe d’abord en ligne droite vers le ciel et tournoie par la suite, est emblème d’élévation et d’avenir. Pour recommencer, repartir à zéro, il faut faire table rase de tout ce qui est ancien. Seule la tornade peut faire cela. L’autre interprétation, bien sûr, serait ce vent qui emporte tout sur son passage, notamment dans la région du Moyen-Orient. Or je laisse cette interprétation pour les pessimistes.
… Ou êtes-vous olivier ?
L’arbre, symbole de paix par excellence, représente également l’enracinement dans cette partie de la terre, l’amour des traditions. Les racines, cependant, doivent nous aider à regarder vers le haut et non en arrière. Cela ne sert à rien de se retourner toujours vers le passé.
Le fil barbelé est-il votre matériau de prédilection?
En travaillant le fil, j’ai appris à le dompter et à le maîtriser. Onze mille mètres de fils barbelés, imbriqués et enchevêtrés, pour composer cette tornade, ce n’est pas une mince affaire ! À présent, ce fil est entièrement soumis à mes désirs. Par ailleurs, en le tordant, il s’établit une sorte de dialogue et de confrontation. C’est mon moment de contemplation. Et s’il arrive que je me blesse, parce que je travaille souvent à mains nues, ces blessures, je l’avoue, ont un goût de victoire. Une victoire absolue sur la matière, et pourquoi pas sur les éléments ?
Après avoir été olivier et tornade, Abdel Rahman Katanani devient tsunami. À la galerie Saleh Barakat, l’artiste palestinien a transformé l’espace en une plate-forme où l’on réfléchit aux pourquoi et comment de notre (non)-existence. Dans un Liban enfoncé dans la crise politique, son œuvre est un regain d’espoir.
Exposer le travail de l’artiste palestinien par les temps qui courent peut être vu comme un défi. Vu sous un autre angle, c’est une continuation des places publiques où l’on se questionne, s’interroge et réfléchit.
Abdel Rahman Katanani tord le fil barbelé depuis sept ans, le malmène et le transforme, au creux de ses mains, d’outil de répression, de séparation voire de torture, en pensée vivante et positive. Après en avoir fait des cordes à sauter (jeu des enfants dans les camps palestiniens), des cerf-volants et, plus tard, des oliviers ou des tornades, l’artiste a construit, aujourd’hui, une énorme vague qui peut soit emporter le Liban, soit le transporter vers des rivages plus calmes, plus apaisés. « Ce raz-de-marée qui se gonflait, grossissait, fermente depuis des années, je le voyais venir. Je sentais qu’un bouleversement allait advenir, qui pouvait être une source d’espoir pour le peuple libanais. Cette jeunesse, poursuit Abdel Rahman Katanani, n’est plus contrôlée comme les générations précédentes. Elle est libre de toutes sortes de préjugés sectaires et communautaires. Elle a construit son propre dialogue. Son propre langage ». Il est venu le temps du grand nettoyage et ce que les Libanais accomplissent aujourd’hui n’a pas de précédent. Un phénomène nouveau que la classe des dirigeants n’arrive pas à assimiler. Au peuple d’être totalement conscient de ce moment historique. « De prendre la vague qui les ramènera à des rivages plus tranquilles ou de se laisser emporter par elle et de s’autodétruire. »
La nature nous apprend tout
Son rire communicatif, son énergie contagieuse, il les diffuse dans ce travail époustouflant, qui prend la forme d’une grande installation aux mille significations et résonances. La reproduction des taudis fabriqués en tôles qui évoquent le camp où il est né, aux multiples couleurs pleines d’espoir, évoquent la prison, un labyrinthe sans fin, grâce au jeu de miroirs, mais aussi un espace qui invite au « brainstorming » collectif. À rappeler que dans ce terme on entend le mot « storm », qui signifie orage. L’orage qui risquerait donc d’emporter ce milieu carcéral invite ainsi à traverser ce labyrinthe, et à entrer dans la vague. Haute et profonde de quatre mètres et demi et large de huit mètres, toute en fils barbelés, il faut la prendre avec tout ce qu’elle suppose de dangers, d’aléas et de risques. Pour nettoyer le pays, mais aussi pour se nettoyer soi-même. Car pour reconstruire un pays, il faut commencer par reconstruire le citoyen. Comme si on élaguait les arbres en hiver pour avoir une meilleure floraison en été. « Pour comprendre l’autre, il faut commencer par retrouver sa propre identité en tant qu’individu et se reconnecter avec la terre, dit Abdel Rahman Katanani. C’est la nature, dans tous ses éléments, quoique très violents, qui nous apprend tout. En demeurant ancré dans la terre, on se rapprochera de l’homme. »
Cette installation immersive est digne des grandes installations internationales dans un espace approprié qu’est la galerie Saleh Barakat. « En octroyant à l’artiste cet espace, j’ai voulu montrer au monde qu’avec les moyens de bord, on peut faire comme les autres galeries internationales sinon mieux », dit le galeriste.
Un « wall of fame » sur les dirigeants du Moyen-Orient et leur rapport avec le pétrole est aussi accroché sur les cimaises de la galerie. Une étude élaborée et contemplative sur ce qui arrive dans la région et sur la place que chaque citoyen devrait adopter avec maturité pour enfin se libérer de tout lien.
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