Passionné par Frank Ocean et Cheb Hasni, Malca propose un subtil croisement entre une pop électro inspirée des années 80 et la musique populaire marocaine. À 29 ans, le chanteur défend depuis Paris la nouvelle scène underground de Casablanca, poussée entre les « villas californiennes » et les bidonvilles. Rencontre.
Des toits couverts de paraboles, un quad cabrant au coucher du soleil, quelques jeunes en TN Requin dansant dans un salon traditionnel marocain. Puis, au milieu de tous ces plans, montés sur une musique entre chaâbi et pop électro, un chanteur aux cheveux mi-longs, assis dans une décapotable noire, un survet’ de la Fédération Marocaine de Football sur le dos. Nom : Malca. Age : 29 ans. En cinq minutes, sa vidéo « Casablanca Jungle », parue à la fin du mois d’octobre, offre à voir une métropole qui semble ne jamais dormir : Casablanca, plus de quatre millions d’habitants, capitale économique du pays et cinquième ville la plus densément peuplée du monde. « Ce clip a été une aventure humaine, rien ne s’est passé comme on voulait, rejoue-t-il aujourd’hui. On a eu des annulations de partout, des problèmes d’autorisation de tournage, on s’est même fait arrêter par des flics sur la Corniche, un boulevard emblématique de la ville. Les policiers nous ont forcé à supprimer une image où un pilote de moto leur fait des fuck avec ses doigts. » Malca sourit : « On a essayé de montrer l’image la plus authentique de la jeunesse de Casablanca. Pas la jeunesse dorée, comme on le voit parfois à l’écran, pas non plus une vision misérabiliste du Maroc. C’est pour cela que le clip a été bien perçu par les habitants de Casablanca comme par ceux qui ne viennent pas de la ville. » 120 000 vues plus tard, Malca incarne la jeunesse locale sur la scène du Pitchfork Festival ou sur les ondes de France Inter. Paru le 17 novembre dernier, son deuxième EP, baptisé Casablanca Jungle, a reçu les louanges d’un pan de la presse musicale française. Depuis la Brasserie Barbès, bistro gentrifié planté dans les quartiers populaires du nord parisiens, le jeune homme savoure : « Cela me plaît d’être une sorte de porte-étendard de la sous-culture en train de se développer à Casablanca. » Devant un Perrier citron, une paire de lunettes à reflets colorés posée sur le nez, il raconte : « Quand j’ai quitté Casablanca, j’avais 18 ans. Je n’ai pas eu le temps de découvrir la night life casablancaise. Je rattrape ça un peu maintenant, cela me permet de comprendre les nouvelles générations. » Depuis une petite dizaine d’années, Malca vit à Paris, où il enregistre sa musique, nourrie de pop des années 80 et de musiques traditionnelles arabes, dans un studio de la rive droite. A 2000 kilomètres de là où tout a commencé.
Lycée Lyautey, centre-ville de Casablanca. Dans cet établissement français, Malca croise au milieu des années 2000 les enfants des grandes familles locales. « Je connais bien cette jeunesse dorée. Je sais ce que c’est et je sais à quel point je n’y appartiens pas », résume-t-il, sans amertume. Avec sa bande, il écoute alors le rock à guitare des Strokes, des Smiths ou d’Arcade Fire et organise des concerts dans l’enceinte du lycée. « C’était Woodstock pour nous. Un moyen de s’exprimer, de jouer de la musique devant des gens qui ne voyaient que peu de concerts. Car toute cette culture rock anglo saxonne est venue à nous à travers Internet. » L’année du bac, un concert dérape. « On a mal géré la sécurité : deux personnes ont cassé des vitres et ont volé des ordinateurs. J’ai été tenu responsable et je me suis fait virer », se marre-t-il. Le jeune homme s’installe alors à Paris. Passage éclair de quelques mois dans « une école de journalisme pas terrible », avant son inscription dans une école de jazz. Surtout, c’est à Paris que le Casablancais redécouvre la musique traditionnelle arabe qu’il écoutait enfant. « Adolescent, j’ai rejeté ma culture musicale maghrébine… J’avais tellement envie de partir découvrir le monde. Une fois arrivé en France, j’ai réalisé que j’étais étranger, même si je suis aussi Français. Cela m’a un peu rapproché de mes racines, de ma culture familiale. » Une culture construite autour de la musique populaire chaâbi marocaine et du raï algérien. Dans le panthéon du musicien figure ainsi Cheb Hasni, dit « le rossignol ». Un chanteur sentimental oranais, mort assassiné en 1994, à l’âge de 26 ans. Malca, tout en révérence : « Jamais un artiste n’a réussi à toucher à ce point les gens par les mots. » Au cœur de Barbès, où les cassettes de musique orientale se vendaient autrefois à 20 francs l’unité, le Franco-Marocain détaille son projet d’une « culture pop arabe alternative », puisant ses origines dans la modernité des anciens. « Entre 1985 et 1995, durant l’âge d’or du raï, il y avait quelque chose de totalement nouveau, qui n’existait pas encore dans les pays occidentaux : l’idée du home studio. Avec quelques machines, ces musiciens produisaient trois chansons par jour. Ils fabriquaient leur musique comme aujourd’hui un producteur travaille la musique électronique dans sa chambre. C’était une musique d’instant, une musique pop. Comme l’est le rap dans les années 2010. D’ailleurs, le raï a aussi été précurseur sur l’autotune. Ces chanteurs ne réalisent pas à quel point ils étaient en avance dans leur façon de travailler la musique. »
Depuis deux ans, Malca multiplie les allers-retours entre Casa et Paris. Avec une idée en tête : comprendre la musique arabe, « déchiffrer ce qui se passe derrière une chanson », pour réussir sa fusion avec l’électro, la pop et le R&B de Frank Ocean, qu’il écoute en boucle. En 2015, c’est aux clips de chaâbi que le musicien rendait hommage avec la vidéo de « She Gets Too High », compilant des extraits de ces productions au charme cheap. « A l’époque, on faisait des clips avec trois francs six sous. On voulait faire un clip drôle, second degré, avec un côté mème. Mais dans la vidéo, il y a aussi beaucoup de femmes qui dansent. Elles sont belles, jamais vulgaires, alors qu’elles sont très dévalorisées dans les clips de chaâbi. En commentaires, c’est hard, elles s’en prennent plein la gueule parce qu’elles ont osé danser comme ça, avec sensualité… » Pour trouver l’inspiration, le chanteur dispose d’un « labo », non loin de l’hippodrome. « C’est un ancien restaurant d’un copain de mon père. Un ancien diner américain, complètement abandonné. J’y ai posé mes machines, les boîtes à rythmes et les synthés que je répare. » Le lieu est à l’image de ses productions, élégant mais un peu foutraque, comme un pont entre plusieurs époques et plusieurs cultures. Un « grand n’importe quoi », à l’image de Casablanca. « Tout est blanc, mais il y a des immeubles haussmanniens à côté de villas californiennes, des bâtiments aux influences espagnoles, puis un quartier où l’on se croirait à Bagdad. Socialement, c’est aussi une ville absurde. Pour comprendre l’urbain marocain, il faut comprendre Casablanca : il y a des gens dans une immense misère qui habitent juste à côté d’autres qui conduisent des BM et vivent dans des villas. » Un décor dans lequel Malca se plaît à « vivre des expériences ». La dernière en date : une résidence d’une semaine avec la scène trap marocaine, aux côtés de son ami et manager Mohamed Sqalli – les deux hommes se connaissent depuis le CE1. « On a invité plein de beatmakers et de rappeurs marocains : Shayfeen, Issam Harris ou 7Liwa. Il y avait une paire d’enceintes, un ordinateur, de l’autotune à balle, des gars qui écrivaient sur leur téléphone et enchaînaient au micro. » Le tout organisé dans une villa « un peu californienne » avec une belle piscine, à quelques encablures des bidonvilles qui émaillent la métropole. Car ainsi va la vie dans la jungle de Casablanca.
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