Le radicalisme dans les mosquées suisses Islamisation, djihad culturel et concessions sans fin – Mireille Vallette

La Suisse, qui ne connait ni ghettos, ni émeutes, encore moins de « territoires perdus », a-t-elle la chance exceptionnelle d’être épargnée par l’intégrisme islamique ? Le monde politico-médiatique tend à voir ce pays comme un îlot de quiétude musulmane. Pourtant, le radicalisme se manifeste dans la plupart des mosquées : invités sulfureux, ségrégation des sexes, adhésion à toutes les formes de couverture du corps féminin, colloques où modérés autoproclamés et radicaux se rassemblent dans l’harmonie, etc. L’influence des Frères musulmans, des wahhabites et de la Turquie islamiste est considérable. Les prosélytes sont fixés sur un même objectif : l’expansion de l’islam et la conquête culturelle de la démocratie. La conviction d’un Coran et d’un prophète parfaits est générale, l’absence de liens entre actes barbares et islam constamment affirmée. Parallèlement, la pratique des rites, des obligations et interdictions gagne de plus en plus de disciples. Quant aux porteurs de valise « indigènes » de cette idéologie, ils soutiennent des revendications intolérantes et misogynes, voire les anticipent…

Layla et Majnûn – Nezâmi

Layla et Majnûn – Layli et Majnûn en persan – est une légende du folklore arabe d’origine préislamique relatant les amours contrariées de Qays et de sa cousine Layla, deux enfants du désert d’Arabie. Lorsque le père de Layla s’oppose à leur union, Qays, fou de douleur, se retire au désert parmi les bêtes sauvages, chantant son amour à tous les vents. Il reçoit alors le surnom de Majnûn – « le fou », en arabe. La légende de Layla et Majnûn, qui trouve ses racines dans la Perse de Babylone, fut propagée par les Bédouins au fil de leurs voyages et conquêtes. Son adaptation en persan par Nezâmi à travers ce poème d’environ 4 000 distiques, composé en 1188 de notre ère, est considérée comme un des chefs-d’oeuvre de la littérature persane. Ce récit tragique d’une passion amoureuse qui ne s’accomplit que dans la mort a marqué de nombreux miniaturistes et poètes. Louis Aragon, notamment, dans Le Fou d’Elsa, s’inspirant du poème Medjoûn et Leïla de Jâmi (1414-1492), transposa l’histoire dans la Grenade de l’Andalousie arabo-musulmane du XVe siècle finissant. La présente traduction du poème de Nezâmi est la première en langue française.

Imago – Cyril Dion

Parce que son frère s’apprête à commettre en France l’irréparable, Nadr le pacifiste se lance à sa poursuite, quitte la Palestine, franchit les tunnels, passe en Égypte, débarque à Marseille puis suit la trace de Khalil jusqu’à Paris. Se révolter, s’interposer : deux manières d’affronter le même obstacle, se libérer de tout enfermement, accéder à soi-même, entrer en résilience contre le sentiment d’immobilité, d’incarcération, d’irrémédiable injustice.
Sous couvert de fiction, ce premier roman est celui d’un homme engagé pour un autre monde, une autre société – un engagement qui passe ici par l’imaginaire pour approcher encore davantage l’une des tragédies les plus durables du xxe siècle.

« J’AI COMMENCÉ À ÉCRIRE IMAGO EN 2006, après avoir passé cinq ans entre Israël, la Palestine, la Suisse, l’Andalousie et Paris, tâchant de rapprocher Israéliens et Palestiniens, juifs et musulmans. Chaque jour, je fréquentais des hommes et des femmes enfermés dans leurs croyances, leurs logiques politiques, leurs souffrances, leurs territoires… 
Fin 2006, j’ai rencontré Pierre Rabhi, avec qui je me suis engagé dans la création du mouvement Colibris. J’aimais son message écologiste mais j’étais surtout touché par son histoire : celle d’un homme décidé à quitter la société moderne, dans laquelle il se sentait incarcéré, pris dans une logique qui l’obligeait à vivre contre ses idéaux.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été écrasé par ce sentiment d’enfermement : celui de l’esprit dans le corps, de l’enfant dans les salles de classe, de l’adulte dans « le monde du travail ». Il me semble avoir écrit ce livre, tout au long de ces dix années, comme un moyen d’explorer ce sentiment, de le traverser, d’y trouver une issue… 
À aucun moment je n’ai songé à faire un livre sur la géopolitique ou le terrorisme. C’est l’itinéraire de ces quatre personnages qui m’habitait. Comme souvent dans la fiction ou la poésie, j’ai écrit sans véritablement savoir ce que j’écrivais. Car finalement, ce livre a certai-nement une dimension politique. 
À de nombreux égards l’Occident a créé la poudrière du Moyen-Orient. Aujourd’hui, ce petit territoire d’Israël-Palestine, où deux peuples doivent cohabiter avec la peur primale de disparaître, n’est pas seulement abandonné à son triste sort, il est instrumentalisé. Israël par les pays voulant garder une position stratégique dans la région, la Palestine par les isla-mistes utilisant la souffrance des Palestiniens pour rallier de jeunes esprits à leur cause. La guerre que les Occidentaux ont exportée sur cette terre revient aujourd’hui sur leurs sols… 
Nadr, Khalil, Fernando et Amandine sont emportés par ces trajectoires qui ne leur ap-partiennent pas. Et tentent, comme beaucoup d’entre nous, de s’en libérer, pour trouver leur propre chemin. »

Zabor ou Les psaumes – Kamel Daoud

Orphelin de mère, mis à l’écart par son père, il a grandi dans la compagnie des livres qui lui ont offert une nouvelle langue. Depuis toujours, il est convaincu d’avoir un don : s’il écrit, il repousse la mort ; celui qu’il enferme dans les phrases de ses cahiers gagne du temps de vie. Ce soir, c’est auprès de son père moribond qu’il est appelé par un demi-frère honni… Fable, parabole, confession, le deuxième roman de Kamel Daoud célèbre la folle puissance de l’imaginaire et rend hommage à la langue française comme espace d’infinie liberté.

Burkini – Hajj Maya

Burkini, le titre du roman, est une juxtaposition de « burqa’ » et « bikini ». Ce mot anglais, entré dans le dictionnaire australien en 2012, désigne l’habit de bain conçu par une Australienne de confession musulmane. Mais ce mot exprime surtout le penchant double et contradictoire de l’héroïne, qui tente de se libérer par l’art, en peignant des corps presque nus, tout en restant conservatrice puisqu’elle-même porte le voile. « Je suis déchirée entre deux femmes. Lorsque je suis lasse d’une, je la tue et me raccroche à l’autre. Quelle femme suis-je ? […] La mystérieuse femme voilée ou l’artiste émancipée ? ». L’histoire d’une jeune peintre, vivant sous son voile, un conflit ignoré de tous, partagée entre son beau physique et le voile qui le cache. « Je reconnais que je n’ai jamais réussi à faire du foulard qui me couvre les cheveux une partie de moi-même, […] Il n’y a que dans cette chambre obscure que je me retrouve. On dit que je vis en vase clos. C’est dans l’obscurité et l’immobilité que nait la femme que j’étouffe chaque matin sous une nouvelle écharpe ». L’auteur ouvre les portes de l’équivoque de la femme voilée avec son corps. Le roman n’en perd pas moins sa dimension sociale : il révèle une certaine conception de la femme au sein de la société orientale, souvent perçue comme un objet de honte et de désir. À la différence des autres romans arabes, l’héroïne ne se sent pas victime de la société patriarcale : c’est une femme libre qui choisit délibérément de se voiler tout en regrettant ce choix. Avec Burkini, Maya Hajj fait renaître l’atmosphère des années 60-70, au cours desquelles les idées de gauche émergent, faisant apparaitre un conflit entre liberté et traditions, avec des romans comme J’existe de Leila Baalbaki, ou Rebelle de Ghada Samman. Bien que le lieu où se déroule l’action ne soit pas mentionné, on comprend qu’il s’agit d’une société cosmopolite, libre et ouverte, néanmoins rattachée au monde arabe où les courants salafistes progressent, comme c’est le cas à Beyrouth. Paru en 2014, Burkini résonne avec l’actualité. Sa version française contribuera à éclairer la question du port du voile dans la société contemporaine, dès lors que le roman brise un tabou existant autour de la « femme voilée », ses phantasmes et son corps.

Le voyage à la Mecque – Sylvia Chiffoleau

Pilier de l’islam, le pèlerinage à La Mecque est à l’origine du plus grand rassemblement humain au monde. Née aux premiers temps de l’islam, cette pratique n’a cessé de croître, s’inscrivant dans une histoire qui mêle les dimensions religieuses, politiques, sociales, économiques ou encore sanitaires. Au cours du xixe siècle, le voyage à La Mecque prend un essor inédit et cesse d’être une affaire exclusivement musulmane : les puissances coloniales s’attachent à gouverner administrativement ce vaste mouvement touchant chaque année plusieurs dizaines de milliers de leurs ressortissants. La communauté internationale se mobilise pour assurer un strict contrôle sanitaire de ces rencontres qui catalysent les risques d’épidémies. Avec la fin des empires coloniaux, le pèlerinage entre dans l’histoire de reconfigurations géopolitiques, qui demeurent jusqu’à aujourd’hui au coeur des enjeux de la région. En retraçant l’histoire du voyage à La Mecque, Sylvia Chiffoleau nous plonge dans le quotidien des pèlerins et nous montre que ces croyants, au fil du temps, expérimentent les territoires de la modernité.

Quel Islam pour l’Europe ? – Yadh Ben Achour , François Dermange

Alors que l’islam est au coeur de l’actualité, souvent dramatique, et nourrit les peurs partout en Europe, très peu de voix se font entendre pour offrir une analyse lucide et sans complaisance, et surtout proposer des solutions qui sortent de la polémique. Dans ce livre, deux personnalités réfléchissent à la place et à l’avenir de l’islam au sein des démocraties européennes : Yadh Ben Achour, juriste et personnalité majeure de la transition démocratique en Tunisie, et François Dermange, professeur d’éthique et spécialiste des questions religieuses, proposent une vision débarrassée de tout fantasme et de tout angélisme qui permet de mieux comprendre les enjeux de la place des musulmans en Europe, et les conditions d’une intégration réussie. Un livre fort et indispensable en ces temps troublés.

Iran, autopsie du chiisme politique – Amélie-Myriam Chelly

Depuis un siècle, l’Iran est le laboratoire du Moyen-Orient et du monde musulman. Pour entrer dans la modernité, ses chefs de file ont fait du chiisme un outil idéologique. Ils ont ainsi dévoyé les piliers de la religion traditionnelle tout en échouant à fonder un idéal politique durable et crédible. L’islam institutionnalisé désenchante, et le modèle théocratique sape profondément les repères sociétaux des Iraniens. Comment la confusion entre la sphère publique et la sphère privée, érigée en un redoutable principe de gouvernance, a-t-elle abouti à dénaturer la foi, à la détourner de sa fonction, à dévoyer le culte et ses préceptes, et à faire du martyre une véritable arme ? Des Pahlavis à Mahmoud Ahmadinejad, en passant par l’ayatollah Khomeyni, décryptant les raisonnements et les actes mis en oeuvre par les uns et les autres, c’est l’histoire de ce mouvement de sécularisation que retrace ici brillamment Amélie-Myriam Chelly. Des précurseurs progressistes qui voulaient hier réformer la Perse aux intellectuels critiques qui veulent aujourd’hui rénover l’islam, une enquête incontournable pour comprendre l’Iran contemporain.

Prisonnière du Levant – Darina Al Joundi

« Il fait nuit. Seule dans sa chambre, Marie recherche la signification de ce nom : May… ainsi se nomment les fées de la poésie arabe. Il vient du Perse et signifient le vin. Marie est folle de joie. Elle a enfin trouvé un patronyme qui lui ressemble. May Ziadé vient de naître ». 1920 au Caire. Dans les cafés et les salons, les grands esprits du temps se rencontrent et parlent assez librement. Parmi eux : May Ziadé. Poétesse, féministe engagée et muse de Khalil Gilbran, l’auteur du Prophète. Une femme intense qui fascine autant qu’elle inquiète. Sans doute trop pour ses amis et ses proches qui la feront interner dans un asile psychiatrique… Prisonnière du Levant est son histoire, racontée par Darina al Joundi, comédienne et scénariste. Elle-même féministe, Darina a voulu accomplir son destin de femme et, comme son héroïne May, elle a vécu l’enfermement avant de se libérer.

Un royaume d’olives et de cendres 26 écrivains, 50 ans de Territoires occupés

« Le checkpoint incarne l’occupation, il la symbolise, il la manifeste. Chaque passage rappelle aux Palestiniens de H2 [à Hébron] qu’ils sont soumis au pouvoir des militaires, qu’ils sont occupés ; chaque passage appuie là où ça fait mal. Comme un point de contention sur un corps congestionné, une pression sur un corps douloureux, sur un corps qui déborde. » Maylis de Kerangal. 50 ans après la guerre des Six-Jours et l’occupation de la Cisjordanie par Israël, que signifie, au quotidien, vivre dans les Territoires occupés ? Ayelet Waldman et Michael Chabon se sont associés à l’ONG israélienne « Breaking the Silence » pour demander à 24 brillants écrivains du monde entier de se rendre dans les Territoires occupés afin de témoigner du quotidien de ceux et de celles qui y vivent, et de réfléchir, de l’intérieur, au conflit israélo-arabe. Au travers de leurs courts récits, poignants, incisifs, tendres ou révoltés, on entre dans les villes occupées, dans les maisons, on partage les inquiétudes des Palestiniens, leurs combats, leurs humiliations, leurs difficultés à se déplacer, à étudier, à avoir une vie sociale. Ce livre est aussi un état des lieux des guerres qui déchirent deux peuples, des tensions historiques, géopolitiques et économiques, et d’une politique gouvernementale israélienne toujours plus invasive. 26 histoires qui racontent le coût humain de l’occupation.