Badjens / Delphine Minoui

« Bad-jens : mot à mot, mauvais genre. En persan de tous les jours : espiègle ou effrontée ». Chiraz, automne 2022. Au coeur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l’adolescente rebelle défile en flash-back : sa naissance indésirée, son père castrateur, son smartphone rempli de tubes frondeurs, ses copines, ses premières amours, son corps assoiffé de liberté, et ce code vestimentaire, fait d’un bout de tissu sur la tête, dont elle rêve de s’affranchir. Et si dans son surnom, Badjens, choisi dès sa naissance par sa mère, se trouvait le secret de son émancipation ? De cette transformation radicale, racontée sous forme de monologue intérieur, Delphine Minoui livre un bouleversant roman d’apprentissage où les mots claquent pour tisser un nouveau langage, à la fois tendre et irrévérencieux, à l’image de cette nouvelle génération en pleine ébullition.

Prix : 31chf

Un thé à Téhéran / Kamali Marjan

A ses pieds, un tapis cuivré couvrait le sol, parsemé des pétales de rose rouges, et de quelques feuilles aux teintes flamboyantes. Elle repensa aux mosaïques étincelantes sur les immeubles, au sud de Téhéran, le bleu turquoise dans les bassins de carpes koï partout dans la ville, les tapis colorés savamment tissées dans les maisons et les boutiques. Les piles de safran, de curcuma et de sumac au souk, tout comme les motifs kaléidoscopiques des parterres, dans les parcs. Depuis que sa famille, originaire de Téhéran, s’est installée à New York, Mina s’est parfaitement accoutumée à ce nouveau mode de vie et rêve de peindre sa vie en mille couleurs. Mais sa mère, Darya, nourrit de tout autres rêves pour sa fille : lui trouver le parfait mari irano-américain. Au carrefour de deux cultures, mère et filles ont bien souvent trop de mal à se comprendre. Elles décident alors de s’embarquer pour un voyage en Iran, espérant ainsi renouer avec leurs origines et se rapprocher. Cependant, quand Mina s’éprend d’un jeune homme que sa mère n’a pas choisi, il faudra sans doute plus que du thé noir et des petits pains chauds pour préserver ce que mère et fille s’efforcent de reconstruire. Après le succès de La Librairie de Téhéran, Marjan Kamali revient avec un roman à la fois émouvant et joyeux sur la famille, l’amour, et la place qu’il revient à chacun de trouver dans ce monde. « Les dialogues étincelants et les personnages chaleureux d’Un thé à Téhéran feront le bonheur des lecteurs ». Kirkus Reviews « Lyrique, vivant, chaleureux » Publishers Weekly « Vifs et intelligents, les personnages d’Un thé à Téhéran vous deviendront très vite si chers que vous aurez envie de faire vos valises et de les suivre partout là où ils vous emmèneront. Comme je suis heureuse de ce cadeau à la saveur de baklava que m’a permis de savourer cette immersion perse sans quitter New York ». Elinor Lipman « Marjan Kamali saisit à la perfection le paysage urbain, les sons et les odeurs de Téhéran. Humour, romance et tradition sont les ingrédients de ce réjouissant récit à la sauce iranienne ». Booklist

Prix : 32chf

Mémoires captives / Azar Nafisi

Entre secrets intimes et secrets d’Etat, Azar Nafisi hérite d’une mythologie familiale pétrie de silences, de mensonges et de légendes. Après le phénoménal Lire Lolita à Téhéran, elle opère un retour aux sources : à sa mère, terrible et magnifique affabulatrice ; à son père, un temps emprisonné par le Shah, qui lui a transmis son amour indéfectible pour la littérature. Leurs destinées sont irrémédiablement liées à l’histoire de l’Iran : le régime totalitaire bâillonne leurs idéaux, malmène leurs ambitions et les met en danger. La fiction et l’imaginaire deviennent pour  » Azi  » un refuge et une véritable arme de résistance. Née à Téhéran, Azar Nafisi a vécu et enseigné en Iran avant de s’exiler à Washington en 1997. Mémoires captives offre un éclairage sensible et bouleversant sur l’engagement de toute une vie pour la liberté et la littérature.

Prix : 18chf

Dans les rues de Téhéran / Nila

FEMME, VIE, LIBERTE ! La nouvelle révolution iranienne vue de l’intérieur Après la mort de la jeune Kurde Mahsa Jina Amini le 16 septembre 2022, les cris de colère des Iraniens réclamant l’égalité et la justice se font entendre dans toutes les grandes villes du pays. Dans ce témoignage exceptionnel, une Iranienne nous entraîne au coeur du soulèvement où, lors de ses sorties quotidiennes dans les rues de la capitale, elle est à la fois témoin et actrice de la révolte de son peuple. Replaçant les évènements récents dans une longue histoire de lutte à travers la figure de Tâhereh, première martyre pour la cause des femmes, elle nous livre une puissante réflexion sur cette révolution.

 

Prix : 20chf

La dernière place / Négar Djavadi

Le 8 janvier 2020, le vol 752 d’Ukraine International Airlines reliant Téhéran à Kiev s’écrase six minutes après le décollage entraînant la mort des 176 passagers et membres d’équipage. Ce crash survient dans un contexte de tensions extrêmes entre l’Iran et les Etats-Unis. A travers l’histoire de sa cousine Niloufar Sadr, présente sur ce vol, Négar Djavadi relate cette tragédie. Traumatisme national, la chute du PS752 est l’un des événements qui annoncent le mouvement révolutionnaire qui s’est emparé de l’Iran à l’automne 2023.

 

Prix :34chf

L’interrogatoire – Suzanne Azmayesh

Issue d’une famille iranienne exilée, Ava est fiancée à Simon, juif ashkénaze. Un été, elle se rend avec lui en Israël pour un mariage. Une fois arrivée à l’aéroport Ben Gourion, elle est l’objet d’un interrogatoire de plusieurs heures, visant à vérifier qu’elle ne représente aucun danger pour le pays. Questionnée sur son rapport à l’Iran, à l’Islam et à l’histoire de sa famille, Ava n’a d’autre choix que de se confronter à cette double culture parfois lourde à porter, pour elle qui ne connaît rien du pays qu’a fui sa famille. La question de l’identité, mais surtout de ce flottement qui existe entre le regard des autres et la manière dont on se perçoit soi-même, est au coeur de ce roman.

 

Prix : 31CHF

Iran immortel – Kares Le Roy

Un panorama des territoires reculés d’Iran, notamment le Baloutchistan, où le photographe s’est aventuré pendant dix ans et où il a partagé le quotidien des habitants.

 

Prix : 61chf

Shâhnâmeh : Le Livre des Rois – Firdousî, Abu al-Qasem

Récit fondateur de la culture iranienne, épopée mythique et historique, le Shâhnâmeh ou Livre des Rois, a été composé en persan au début du XIe siècle par le poète Ferdowsi. L’ampleur des épisodes décrits, depuis la création du monde et la naissance de la civilisation persane préislamique jusqu’à la conquête arabe de l’Iran au milieu du VIIe siècle, en fait une œuvre sans équivalent dans la littérature mondiale. Copié et enluminé de façon presque ininterrompue, il donna naissance à un corpus de plusieurs milliers de manuscrits et à certaines des plus belles miniatures de l’histoire de l’art persan. Près de deux siècles après la publication de la traduction en prose du Livre des Rois par Jules Mohl, Pierre Lecoq propose la première traduction française intégrale en vers de cette œuvre majeure de la littérature persane. Son texte allie la rigueur historique et philologique à la restitution des rimes et du souffle épique de l’original persan, pour le plus grand plaisir des lecteurs. L’ouvrage est enluminé des cinquante miniatures d’un manuscrit safavide du XVIe siècle, ainsi que de dessins originaux de Scott Pennor’s. Il comporte un index des noms propres. Ouvrage publié avec le soutien de la Soudavar Memorial Foundation et de la Région Ile-de-France

 

Prix : 134 chf

L’Arabo-irano-musulman, nouveau « méchant » d’Hollywood

Alors que le président Donald Trump est sorti de l’accord sur le nucléaire iranien, Hollywood s’emploie depuis des années à construire l’image d’un nouvel ennemi qui remplace le méchant communiste : l’Arabo-irano-musulman, un terroriste en puissance. Il arrive toutefois que quelques films échappent à la caricature.

Il ne faut jamais sous-estimer l’ignorance qui irrigue parfois les films et les séries américaines sur le monde arabe et musulman. Dans l’épisode de Homeland sur la Syrie, tourné en Afrique du Sud, les acteurs arabes locaux engagés pour faire les terroristes et sécréter de la haine devaient aussi écrire des graffitis antiaméricains dans le camp de réfugiés. Selon le Guardianbritannique qui rapporte l’histoire, les artistes ont d’abord songé à décliner la proposition, « jusqu’à ce que nous réalisions que nous pouvions faire passer notre désaccord avec la série ». Ainsi, l’héroïne Carrie passe devant des graffitis en arabe qui proclament : « Homeland est raciste », « Homeland n’est pas une série », « Ne faites pas confiance à cette histoire », « Ce programme ne reflète pas la vision des artistes ». Ce fut un immense éclat de rire dans les pays arabes. Personne ne savait lire l’arabe dans l’équipe de tournage !

LE « BAD GUY » ET LA FEMME BLANCHE

Jack Shaheen, de l’université du Sud-Illinois a étudié les « mythes d’Arabland » dans un documentaire et un livre, Reel Bad Arabs : How Hollywood Vilifies a People (Interlink books, 2009) depuis les débuts du cinéma. Selon lui, seuls les Indiens auraient été plus maltraités à l’écran. L’Arabe est devenu un raccourci du bad guy,longtemps après que l’industrie du cinéma a eu accepté de modifier la représentation d’autres groupes minoritaires. Dans les quelque 300 films aux personnages musulmans (Arabes ou Iraniens) étudiés, on retrouve la même proportion de « navets » que pour les westerns, faisant d’eux l’ennemi public n° 1, brutal, refusant la civilisation occidentale qu’il entend détruire par la terreur.

L’Arabe des films historiques vit dans le désert avec son harem et ses femmes qui dansent la danse du ventre en voilages légers. Le chef est ventripotent, le vizir est un traitre parfaitement caricaturé dans Aladdin de Walt Disney. La fille du sultan est toujours jouée par une actrice blanche « orientalisée ». Le stéréotype du « cheik » (personnalisé par Rudolph Valentino en 1921 dans le film éponyme, puis dans Le fils du cheik en 1926) est directement inspiré de l’orientalisme pictural et romanesque européen. Dans le film musical Harum Scarum, (C’est la fête au harem, 1965), Elvis Presley sauve la vie d’un émir qui lui fait cadeau d’un harem. Mais Elvis reste fidèle à sa fiancée au pays.

Les Mille et une nuits ont inspiré au moins une dizaine de films. Dans Aladdin de Disney (1992), le premier couplet de la chanson du film (en anglais) annonce qu’on est dans un pays où « on torture et coupe la main des voleurs ». L’Arabe, bandit de grand chemin, attaque les caravanes comme les Indiens dans les westerns, vit dans une oasis et recherche toujours une femme blanche, comme dans Le Diamant du Nil (1985), ou dans Never say Never again (Jamais plus jamais, 1983) avec la mise aux enchères de Kim Basinger au profit de lubriques Arabes.

La crise de 1973 et la hausse brutale des prix du pétrole traumatisent la société américaine en profondeur. Avec le film Network (Main basse sur la télévision (1976), le personnage (nouveau) de l’émir du Golfe richissime, idiot et cupide achète toute l’Amérique. Dans une des scènes, le présentateur de télévision appelle les Américains à crier leur haine à leurs fenêtres, rappelant les discours hitlériens de dénonciation des juifs lors de la Nuit de cristal1.

LA FIGURE DU TERRORISTE POST 11-SEPTEMBRE

Les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington constituent un choc analogue à l’attaque de la flotte de guerre américaine par les Japonais à Pearl Harbor le 7 décembre 1941, et le musulman prend largement la tête du classement des méchants. Le créneau, déjà bien fourni avant cette date — avec Under Siege (1986) Wanted : dead or alive (1987) True Lies(1994) —, trouve un nouveau souffle avec la série Homeland(2011), ou les films World War Z (2013) Teenage Mutant Ninja Turtles (2014) et American Sniper (2014). Les feuilletons télévisés Sleeper Cell ou Homeland traitent le cas des cellules islamistes dormantes, alimentant de façon hebdomadaire la peur de l’ennemi caché. Dans la série Generation kill (2008) sur une section de marines en Irak en 2003 (un site lui est consacré), il n’y a aucun héros irakien. Aucun personnage irakien positif non plus dans le film American Sniper, histoire du sniper américain Chris Kyle, alors que sur Internet circulaient les exploits du sniper irakien « Juba », beaucoup moins photogénique.

L’American-Arab Anti-Discrimination Committee jugeant ces présentations insultantes et injurieuses, déclarait : « Chaque fois qu’un Arabe accomplit le rituel de se laver les mains avant la prière, cette image annonce au spectateur qu’il va y avoir de la violence. » Quelquefois, ces protestations aboutissent, mais c’est rare. The sum of all fears (La somme de toutes les peurs, 2002) tiré d’un roman de Tom Clancy imaginait un attentat de terroristes arabo-islamistes durant le Super Bowl2. On est alors dans l’immédiat après 11-Septembre et George W. Bush tient à se démarquer de l’idée d’une guerre religieuse contre l’islam. Devant la protestation du Council on American-Islamic relations, les terroristes arabes sont transformés en néonazis européens.

Mais c’est l’exception. L’Arabo-irano-terroriste sert à mettre du piment dans des scénarios qui s’essoufflent. Dans Back to the Future 1 (Retour vers le futur 1, 1985), un terroriste libyen mitraille le savant sans qu’on sache très bien quel est le rapport avec l’histoire. Dans Prison Break, saison 2, 15e épisode, l’agent Kim exige d’étouffer une affaire : « Allumez un feu de forêt en Floride ou n’importe quoi (…) ou trouvez un entrepôt plein d’Arabes »3.

TOUS LES MÉCHANTS UNIS DANS LEUR HAINE DES ÉTATS-UNIS

Le terroriste est un maniaque au regard fou, mais un peu idiot : dans Retour vers le futur 1, sa mitraillette s’enraye et sa camionnette refuse de démarrer ; dans True lies il se fait subtiliser par une jeune fille la clé du détonateur nucléaire. Mais caché dans les étages d’un gratte-ciel, il ne peut rien contre le calme froid d’Arnold Schwarzenegger aux commandes de son avion à décollage vertical (probablement stationné au pied de l’immeuble). Le sommet du délire est atteint dans Rules of engagement (L’enfer du devoir, 2000). Le colonel Terry Childers est appelé pour évacuer l’ambassade américaine au Yémen face à une foule armée et incontrôlable. Il ordonne d’ouvrir le feu et tue une petite fille unijambiste. Devant un tribunal militaire, abandonné de tous, il est défendu par le colonel Hodges qui va démontrer qu’il y avait légitime défense : même la petite fille unijambiste de 10 ans tirait au pistolet sur les GI.

Dès lors le Proche-Orient devient un melting-pot dans lequel tous les méchants collaborent. Homeland montre un camp du Hezbollah chiite, plein de réfugiés syriens venus de la région sunnite de Rakka. Un Syrien sunnite fuyant les bombes du régime de Bachar Al-Assad se réfugie dans une zone contrôlée par le Hezbollah chiite dirigé par un cheikh sunnite ! La série américaine Army Wives (2007) imagine une petite orpheline irakienne accueillie dans une famille, qui reconnait « que les Américains ne veulent pas de mal au peuple irakien »,contrairement à ce que racontent des gens dans son pays, et elle apprend à faire la cuisine (américaine).

En revanche, pas un mot ni un film contre l’Arabie saoudite, excepté The Kingdom (Le Royaume, 2007) évoquant l’attaque terroriste sur le compound (camp) d’Al-Khobar en 1996. Le film suit l’enquête d’un membre du FBI sur l’attentat qui tua 19 soldats américains. Il a été censuré par le Koweït et Bahreïn, mais pas par Riyad car le collaborateur saoudien n’a pas le mauvais rôle. Le scénario sous-entend la responsabilité du Hezbollah chiite pour ne pas accuser Al-Qaida. William Perry, secrétaire américain à la défense, avoua pourtant dans une entrevue accordée en 2007 : « Je pense désormais Al-Qaida plutôt que l’Iran responsable de l’attentat de 1996 visant la base américaine. » Le ministre de l’intérieur saoudien de l’époque confirmera ses dires, mais cela ne convenait pas aux scénaristes d’Hollywood.

DES FILMS INTERDITS OU CENSURÉS

Cette obsession hollywoodienne génère des effets en retour. Pour la population arabe, tout film critiquant le monde arabe est hollywoodien, comme le très mauvais film d’amateur Innocence of Muslims (L’innocence des musulmans, 2012), diffusé sur YouTube, qui présente les musulmans et le Prophète comme immoraux et brutaux. Les manifestations antiaméricaines ont fait quatre morts en Tunisie, quatre en Libye, deux au Soudan et un au Liban. Des dignitaires religieux eux-mêmes en rajoutent. Khaled Al-Maghrabi, de la mosquée Al-Aqsa du Caire — emprisonné dans le passé pour ses discours racistes — affirme dans un sermon de 2017 que la série Les Simpsons, « création des adeptes du Diable qui complote depuis 17 ans » avait annoncé l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, et les attentats du 11-Septembre.

La liste des films hollywoodiens interdits dans certains pays musulmans est sans surprise : Not Without My Daughter(Jamais sans ma fille) en Iran The Matrix Reloaded, interdit en Egypte parce qu’il remet en question le dogme de la création divine de l’univers Alexander (2004), interdit en Iran à cause de la relation homosexuelle du héros avec Hephaistion, le président Mahmoud Ahmadinejad ayant affirmé que de telles déviations sexuelles n’existaient pas dans son pays. Dans 300 (2007) et sa suite 300 2 (La naissance d’un empire, 2014) sur les batailles de Marathon et de Salamine, Darius — toujours en maillot de bain — ressemble à un punk américain drogué couvert de tatouages et de piercings. Les Perses sont des barbares incultes et agressifs. Thémistocle, le super héros qui doit rester au centre de l’écran ne peut pas être mélangé avec la formation serrée et disciplinée d’hoplites qui seule permit la victoire, (mise en scène oblige). En somme le film décrit les Perses comme Ahmadinejad décrit les juifs et les Américains aujourd’hui. Body of Lies (Mensonges d’État, 2008) reprend la thèse de la complicité de l’Iran avec les leaders d’Al-Qaida, mais aussi avec le trafic de drogue.

Au bout du centième épisode de la septième saison de Homeland(une huitième est en préparation), nous aurons fait le tour complet du Proche-Orient : l’Irak et l’Afghanistan, puis le Liban et la bande de Gaza, le Yémen, l’Iran et enfin la Syrie, sans oublier une pincée de Venezuela et, pour la septième saison, la Russie (toujours rien sur l’Arabie saoudite). Les organisations terroristes collaborent entre elles, quelles que soient leurs divergences : Al-Qaida, Hezbollah libanais, talibans, services pakistanais et organisation de l’État islamique (OEI) s’entendent très bien à Beyrouth, ville de miliciens et de femmes voilées. Pour mémoire, Homeland est l’adaptation de la série israélienne Hatufim qui raconte la même histoire. Une version russe est en cours qui sera certainement considérée comme de la propagande par les pays occidentaux4.

Enfin, les Palestiniens peuvent cacher des zombies. Dans World War Z (2013), le héros à la recherche de l’endroit sûr pour éviter les morts-vivants se réfugie à Jérusalem sur le conseil des militaires. Le territoire a été préservé de l’invasion par le mur de séparation de 6 mètres de haut et 700 kilomètres de long, érigé par les Israéliens contre les Palestiniens. C’est ce qu’on appelle un mur à double usage : contre les Palestiniens et les zombies. Dans Delta Force (1986), l’organisation mondiale New revolutionaries se réclamant de l’ayatollah Khomeini détourne un avion finalement libéré par le commando, non sans que Chuck Norris n’ait affronté le chef du commando en combat singulier. À bord, les commandos trinquent avec les otages libérés dans une étonnante interprétation de l’hymne America The Beautifulvantant le multiculturalisme et le patriotisme. On n’a pas souvenir d’un détournement d’avion commis par des militants khomeinistes, mais est-ce si grave ?

Dans Zero Dark Thirty (2012) qui raconte la traque d’Oussama Ben Laden, le film s’attarde longuement sur des séances de torture conduites par la CIA. Est-ce que celles-ci ont aidé la CIA à trouver la cachette de Ben Laden au Pakistan ? Le film n’est pas explicite à ce sujet.. Le président George W. Bush a validé juridiquement la torture en demandant à d’éminents juristes trois memorandum exploitant les limites des Conventions de Genève afin de priver « légalement » les prisonniers de la protection du droit international. Lors de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture en juin 2003, Bush n’en affirme pas moins que les États-Unis « se consacrent à l’élimination mondiale de la torture et qu’[ils] sont à la tête de ce combat en montrant l’exemple ».

LE POIDS DE LA GUERRE D’IRAK

Mais les choses changent là où on ne les attend pas, obligeant Hollywood à commencer à réfléchir. Les soldats sont devenus des cinéastes et ils ont vécu les horreurs de la prison d’Abou Ghraib, le massacre de Mahmoudiya en 2006, les vidéos de cadavres brûlés… « Pour le Vietnam, il a fallu attendre plus de dix ans entre le climax 1965-1968 et Apocalypse now (1979) ou Voyage au bout de l’enfer (1978) « aujourd’hui l’information s’accélère, il faut réagir plus vite », explique le réalisateur Paul Greengrass. Maintenant les films sortent alors que la guerre se poursuit.

Face à la difficulté de critiquer la politique officielle, les scénaristes privilégient toujours le thème fréquent du cinéma de guerre post-Vietnam, à savoir le traumatisme du combattant ou l’impossible retour au pays, mais restent muets sur le vécu des Irakiens ou des Afghans. Le film The Hurt Locker (Démineurs,2008) raconte le quotidien d’une équipe de déminage, avec sa dose d’adrénaline, mais le film évite le questionnement sur le bien-fondé du conflit et ses conséquences sur la population locale. L’invisibilité de l’ennemi sert à la fois à le rendre plus dangereux et à lui retirer son droit à la parole, voire à le déshumaniser. In the Valley of Elah (Dans la vallée d’Elah, 2007), le sujet reste les graves troubles psychologiques dont est victime le héros déserteur qui avait renversé un enfant avec un véhicule militaire.

Dans Redacted (2007), Brian de Palma choisit le mode documentaire pour évoquer des événements réels de la guerre en Irak, comme le viol d’une fillette de 14 ans par les marinesaméricains ou les attentats-suicides aux points de contrôle, s’inspirant des vidéos postées sur Internet par les soldats. Mais le film n’est sorti que dans 15 salles et il lui a été reproché de faire de la propagande antiaméricaine. Battle for Haditha (2007) est inspiré d’un attentat contre un convoi de marines en Irak qui causera en représailles la mort de 24 innocents en novembre 2005. Good Kill (2014) traite de la guerre moderne, celle qui se joue à coup de bombes lâchées par des drones pilotés par des soldats qui ne quittent pas le sol américain à travers un militaire antihéros dépressif. Il accuse les États-Unis d’attiser la haine et de fabriquer des terroristes.

Les films de pure propagande deviennent plus rares, mais le panel arabo-musulman reste suffisamment large et fourni pour que les scénaristes conçoivent encore quelques dizaines de films, de séries télévisées pendant une petite décennie avant que le filon ne s’épuise. Du moins l’espère-t-on.

PIERRE CONESA

1NDLR. Nom donné au pogrom contre les juifs qui se déroula dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 dans toute l’Allemagne.

2NDLR. Finale du championnat de football américain.

3Cité par François Jost dans De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?, CNRS éditions, 2011 ; p. 54.

4Francesca Fattori (dir.), « Séries télévisées. Paix et guerre sur le petit écran », Carto n° 33, janvier-février 2016.

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Iran, autopsie du chiisme politique – Amélie-Myriam Chelly

Depuis un siècle, l’Iran est le laboratoire du Moyen-Orient et du monde musulman. Pour entrer dans la modernité, ses chefs de file ont fait du chiisme un outil idéologique. Ils ont ainsi dévoyé les piliers de la religion traditionnelle tout en échouant à fonder un idéal politique durable et crédible. L’islam institutionnalisé désenchante, et le modèle théocratique sape profondément les repères sociétaux des Iraniens. Comment la confusion entre la sphère publique et la sphère privée, érigée en un redoutable principe de gouvernance, a-t-elle abouti à dénaturer la foi, à la détourner de sa fonction, à dévoyer le culte et ses préceptes, et à faire du martyre une véritable arme ? Des Pahlavis à Mahmoud Ahmadinejad, en passant par l’ayatollah Khomeyni, décryptant les raisonnements et les actes mis en oeuvre par les uns et les autres, c’est l’histoire de ce mouvement de sécularisation que retrace ici brillamment Amélie-Myriam Chelly. Des précurseurs progressistes qui voulaient hier réformer la Perse aux intellectuels critiques qui veulent aujourd’hui rénover l’islam, une enquête incontournable pour comprendre l’Iran contemporain.