Riad Sattouf s’anime de partout
Série et roman graphiqueLe dessinateur adapte «Les carnets d’Esther» en série, sort «L’Arabe du futur» et s’offre une expo.
À l’écran, Esther gambade dans l’insouciance de ses 9 ans. Riad Sattouf, inspiré depuis 2016 par une authentique petite Parisienne, adapte ses «Carnets» en pastilles animées de 3 minutes. Enchantement. En librairie, le dessinateur sort «L’Arabe du futur», autre évocation, plus dure celle-là. Car au tome 4, Riad, les hormones bouillonnantes sous sa «coupe de Tone Crouze», lâche le secret. Dans le décor balisé entre Bretagne et Syrie, l’ado qui croyait tout savoir des zizis et des bébés, tombe sur des tabous inédits. Ainsi de son père qui a sombré dans le radicalisme et veut l’exporter. Par rapport aux racines du garçon, le paternel d’Esther, «mélanchoniste adoré», ou sa mère «relou», semble soudain des perturbateurs fort légers. Esther, Riad, deux paysages, deux enfances qui cernent le créateur Sattouf.
Dans «L’Arabe du futur 4», le couple parental explose, tandis que les aïeux aux idées arriérées tirent à boulets rouges sur la paix des foyers. Sans oublier les insultes à l’école. «Oh, moi, j’essaie de ne pas trop intellectualiser ce que je fais», confie l’auteur. «Et de ne pas trop l’analyser non plus, j’ai peur qu’une fois démonté, le mécanisme ne fonctionne plus! J’ai gardé des souvenirs vifs et précis des années d’enfance.» Sans arborer de traumatisme en bandoulière, Riad décortique le racisme rampant, l’antisémitisme cramponné, le sexisme beauf. Et tamponne les écorchures de l’âme à l’humour noir.
Esther, vers qui il revient chaque semaine, lui écarquille le regard. «J’ai prévu un album par an jusqu’à ses 18 ans. On n’est plus légalement un enfant, à 18 ans, et cela me semblait être une bonne date pour arrêter là le projet!» D’ici là, Sattouf s’instruit. «J’aime beaucoup en apprendre sur les enfants d’aujourd’hui et voir ce que cela peut dire du futur, de la société en devenir. J’aime observer comment se transmettent les valeurs morales entre les générations.» L’adaptation de la série l’a ramené au premier tome, au plus dense du parfum d’innocence. «Pas de réinterprétations, de changements…»
Miracle aussi pharamineux que l’identité de l’Italienne Elena Ferrante, la jeune fille conserve un parfait anonymat. «Je modifie les noms, je la cache dans le réel!» Par contre, le Riad de «L’Arabe du futur» ne laisse aucun doute quant à sa personne. «J’essaie d’être le plus honnête et sincère avec mes souvenirs. J’essaie de faire les livres les plus lisibles par des gens qui ne lisent pas de BD habituellement. Je n’aime rien de plus que quand une mamy vient me dire qu’elle a lu deux BD dans sa vie: «Bécassine» et «L’Arabe du futur !»
Sattouf l’affirme, sa suite autobiographique se bouclera au 5e volume. Comme pour solder la question de l’ego entre la fiction et la réalité, entre le fils et le père. «Comment se tenir à la bonne distance? Dur à dire. J’ai centré le livre sur l’observation du père afin d’échapper aux risques de l’autobiographie! Ennui, égocentrisme… J’envisage «L’Arabe du futur» comme un récit de voyage sur une autre planète plutôt.» Pourtant, son travail, loin d’un exotisme de pacotille, pousse dans l’arène politique.
«Car tout livre est politique! Bien sûr! Mais moi, j’ai horreur des livres idéologiques, qui nous expliquent ce qu’il faut penser, qui simplifient le réel… ma vie n’est ni de gauche ni de droite, et j’aime que mes lecteurs se fassent leur avis seuls. Rien ne m’insupporte plus que les BD d’extrême gauche ou les pamphlets d’extrême droite… comme si les auteurs cherchaient eux-mêmes à se convaincre de leur vérité, c’est très gênant.» Lui abhorre encore être défini par ses origines. «J’essaie d’avoir une vision humaniste, de regarder le monde à travers le prisme de l’égalité femmes/hommes. C’est ma longue-vue!»
À 40 ans, Sattouf sera exposé en novembre à la Bibliothèque Centre Pompidou à Paris, après Claire Bretécher ou Art Spiegelman. Une consécration? Nuance. «En général j’ai toujours refusé ces propositions d’expo, car je suis horriblement complexé par mes dessins!» Au-delà de l’ironie, «L’écriture retrouvée» consacrera aussi une vocation. «Je pense tout le temps bande dessinée. Quand je suis anxieux, j’en lis, j’essaie d’imaginer ce que ferait tel ou tel auteur que j’aime à ma place… c’est ma religion!»
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