Nature vivante et Âme pacifiée, de Mohammed Taleb

Nouvelle parution en écopsychologie et histoire de la spiritualité.

Relativement récente, l’écopsychologie – qui affirme l’existence d’un continuum entre la vie intérieure et la Nature vivante, entre les paysages de l’âme et notre environnement – repose sur des prémisses pourtant anciennes, qui, parfois, plongent dans l’Antiquité. Les notions d’anima mundi, de microscosmos et de macrocosmos, d’unus mundus, de mundus imaginalis, de homo universalis, sont les piliers du lexique de l’écopsychologie, ses maîtres-mots. Ils disent l’inclusion mutuelle de l’âme et de la Nature. La vie de l’âme n’est pas limitée à la sphère de l’intime, mais se déploie jusqu’aux confins de l’univers. Par l’imagination vraie (l’imaginatio vera de Paracelse) et la symbolisation, la psyché est capable de se dilater, et l’âme de retrouver les chemins de l’Âme du monde, qu’en Islam on appelle nafs al-kulliyya, l’Âme universelle ou totale. De même, la vie de la Nature n’est pas enclose dans la matérialité du minéral, du végétal et de l’animal. A travers ces écosymboles que sont les Quatre éléments (la Terre, l’Eau, l’Air et le Feu), la Nature se révèle présence intérieure à l’âme. L’anthropologie, en vérité, est d’abord une cosmo-anthropologie, car l’univers, subtilement, est en nous. Les 49 portraits qui jalonnent ce livre, et qui ne sont que des esquisses, des lignes fugitives, sont des portes d’entrée dans le domaine des écovisions, des cosmovisions et de l’écologie spirituelle. Enracinés dans des contextes culturels, civilisationnels, et religieux très divers – de la Grèce de Plotin à l’Allemagne de Novalis, de l’Andalousie musulmane d’Ibn ‘Arabi à l’Irlande de William Butler Yeats, de l’Inde de Rabindranath Tagore à la Russie de Nicolas Berdiaev -, ces Sept fois Sept portraits illustrent la permanence d’une psychologie de l’Âme du monde et d’une écologie sacrée. En ces temps de crise, ces disciplines, à la fois spirituelles, philosophiques et chevaleresques, sont un désaveu cinglant de la modernité capitaliste, de la profanation de l’environnement qu’elle propage, avec son lot d’injustices sociales, de domination des peuples. L’écopsychologie est une exhortation pour en finir avec le désenchantement capitaliste de la Nature, et à entrer dans les lueurs vivifiantes de l’Aube, de l’« Aurore naissante » (Jacob Boehme). Le Coran, dans une sourate, appelle les humains à chercher « la protection du Seigneur de l’Aurore naissante ». Par delà les formes et la singularité des langages, le défi est là : dans la perspective d’un dialogue des civilisations, il nous faut réactiver la portée cosmique de nos cultures.
Nature vivante et Âme pacifiée (Arma Artis, 2014) 45.- frs

 

Autre recension du livre :

Serge Caillet – Bloc-notes d’un historien de l’occultisme: La nature vivante et l’âme pacifiée selon Mohammed Taleb

La nature vivante et l’âme pacifiée selon Mohammed Taleb

Avec son dernier livre, Nature vivante et âme pacifiée (Arma Artis, 2014), Mohammed Taleb, philosophe algérien, défenseur de l’arabité, poursuit son combat pour une rupture avec la modernité capitaliste et pour le réenchantement du monde. Or, ce combat passe par la reconnaissance d’une nature vivante « non pas dans les perspectives des sciences biologiques, avec leur approche souvent physicaliste, mais dans la perspective d’une antique philosophie, la tradition stoïcienne » (p 11), une nature, par conséquent dotée d’une âme, qui « vise à la paix, au calme, à la vacuité, à la tranquillité » (p. 13). Une âme, aussi, aspirant à l’Un, qui est l’âme pacifiée évoquée dans la tradition islamique qui est celle de l’auteur.

Cependant, loin de se cantonner à l’islam, cette écologie sacrée a été chantée de tous temps par « une longue lignée intellectuelle, poétique, spirituelle, de l’Antiquité à nos jours, et cela dans divers contextes de religions, de civilisations, de langues, lignée pour laquelle le monde est un Livre, et chaque fragment de la réalité un signe, un symbole, un hiéroglyphe,  à déchiffrer » (p. 16).

Quarante-neuf témoins sont ainsi appelés à la barre par Mohammed Taleb, à travers « Les sept fois sept Lettres de noblesse de l’écologie sacrée et de l’écopsychologie », de Plotin à Paracelse, d’Ibn’Arabi à François d’Assise, de Robert Fludd à Romain Rolland, de Nicolas Berdiaev à Louis Cattiaux… Autant d’occasion aussi, pour l’auteur, de dresser des portraits spirituels, qui ne se veulent qu’esquisses, et d’ouvrir avec eux des portes d’entrée dans le monde de l’écovision, « des lignes fugitives », chaque chapitre étant d’ailleurs pourvu d’une bibliographie qui va à l’essentiel.

Le message délivré par Mohammed Taleb est simple : « c’est parce que la Nature n’est plus vivante, n’est plus sacrée, qu’il est possible de passer – passage ô combien mortifère – du sacré au profane. Or, la crise environnementale n’est pas autre chose qu’une profanation de la Nature… Mais cette entreprise de violence contre les trois mondes – le minéral, le végétal et l’animal -, n’est pas la seule guerre contre le vivant. L’humain est pareillement mutilé […] Les chosifications de l’environnement et de l’humain sont deux aspects d’une crise unique » (p. 16-17).

Jugé sur les épaules des auteurs traditionnels, Mohammed Taleb appelle ses lecteurs capables de responsabilité, de compassion, d’intelligence à l’égard de tous les vivants, bref, capables d’une amitié environnementale, à devenir militants de l’Âme du monde. Contre l’homo oeconomicus, pour « l’homo universalis, cher au néoplatonisme de la Renaissance et à sa tradition hermético-alchimique » (p. 17), au message toujours plus actuel. Il y a urgence.

  1. C.

Mémoires ébouriffées – Laurence Deonna

« J’ai dû en franchir des barrières, des murs, des frontières, des pays, des préjugés et les aspects plus ou moins avoués du machisme. » Reporter, écrivaine et photographe, Laurence Deonna s’inscrit dans la lignée des grandes voyageuses : Isabelle Eberhardt, Ella Maillart, Anne-Marie Schwarzenbach. Née en 1937, elle leur succède. Autre temps. Autre parcours de vie. Un point commun : l’aventure. Vient s’y ajouter la franchise qui est le luxe de sa génération : une femme qui peut tout dire, ou presque, et même s’étendre sur ses amours-qui-ne-durent-pas-toujours. Son irrésistible sens de l’humour, joint à une volonté inoxydable, lui ont permis de survivre tant aux tragédies familiales, qu’à celles, parfois insoutenables, du terrain du reportage. Son éditrice l’a définie ainsi : « Ce n’est pas qu’une journaliste, c’est une créatrice. » Un fil rouge tisse ces Mémoires empreintes à la fois de légèreté et de gravité : le pacifisme, l’empathie et la compassion, particulièrement envers les femmes. Vétérane des années 60, Laurence Deonna a parcouru en solitaire des pays devenus depuis périlleux. Elle a connu des situations cocasses, comme de réussir à émouvoir le Conseil des Ministres du Yémen, en leur chantant « Les Feuilles Mortes » de Prévert et Kosma. Des situations hasardeuses, comme d’être la seule, en 1984, à pénétrer la redoutable prison politique d’Evine, à Téhéran. Elle s’est trouvée face à de cruels chefs d’Etat, comme Idi Amin Dada et Saddam Hussein, ou d’autres encore de la même veine sanglante. « Les êtres lumineux étaient souvent des sans-grades, eux restent dans mon cœur », dit-elle.
LAURENCE DEONNA est née à Genève, Suisse, en 1937, d’une famille de la haute bourgeoisie. Mais la rigidité du calvinisme l’étouffe. Elle se marie, puis elle fuit. Toutes sortes de petits boulots. De 1962 à 1967, elle assiste Jan Krugier, marchand d’art contemporain mondialement connu, avant de s’en aller sur les routes du monde qu’elle ne quittera plus. Spécialiste du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale depuis près d’un demi-siècle, elle est l’auteure d’une douzaine de livres, tous traduits, ainsi que d’expositions de photos en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. On lui doit également des films. En 1987, le Prix de l’Unesco pour l’éducation et la paix lui a été décerné pour l’esprit de son œuvre.

éditions de L’Aire  445pages