Le prix Phénix 2020 à Ahmad Beydoun avec mention spéciale à Dima Abdallah

Orient le Jour

Le prix Phénix de littérature 2020 a été attribué à l’écrivain et sociologue Ahmad Beydoun pour son ouvrage Libérations arabes en souffrance paru aux éditions Actes Sud/L’Orient des livres. Une mention spéciale a été également attribuée à Dima Abdallah pour son roman Mauvaises herbes paru chez Sabine Wespieser.

Né à Bint Jbeil en 1943, Ahmad Beydoun est l’auteur de plus de vingt ouvrages en arabe et en français. « Ses livres portent en majeure partie sur les problèmes de la société et du système politique du Liban, ainsi que sur différents aspects de la culture et de la langue arabes, indique le communiqué du prix Phénix. Libérations arabes en souffrance réunit dix textes dont la production s’est étalée sur plus de trente ans et qui confrontent les cadres de vie imposés par la modernité à l’arsenal de dogmes et de traditions toujours vivaces dans l’espace arabe. Ils tentent de voir dans quelle mesure raidissements et compromis apportent des réponses viables aux défis concrets du présent. Sont ainsi interrogées la langue arabe, l’allégeance communautaire et l’image du corps en islam, autant que l’émergence de l’individualité et de l’esprit critique… » Côté littérature, il a publié un recueil de poèmes et pratiqué le récit de voyage et le scénario.

Quant à Dima Abdallah, elle est née au Liban en 1977 et vit à Paris depuis 1989. Elle est traductrice de littérature et poésie arabe et détient un DEA en archéologie du Moyen-Orient de la Sorbonne. Très remarqué, Mauvaises herbes, son premier roman, exhume les souvenirs marqués au fer rouge d’une enfant de la guerre contrainte à l’exil. Devenue femme, elle décide de se raconter…

Pour rappel, le prix Phénix de littérature est attribué chaque année, depuis sa création en 1996, à une œuvre littéraire écrite en français par un Libanais, ou par un écrivain francophone et ayant trait au Liban. Ce prix, décerné par un jury composé d’écrivains et de journalistes libanais et français, a déjà récompensé d’importants essayistes comme Ghassan Salamé, Georges Corm, Samir Kassir, Samir Frangié, May Chidiac ou Henry Laurens, et des romanciers de talent comme Wajdi Mouawad, Charif Majdalani, Dominique Eddé, Ramy Zein, Georgia Makhlouf ou Carole Dagher pour ne citer qu’eux.

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L’arabie saoudite en 100 questions – Fatiha Dazi-Héni

Qu’est-ce que le wahhabisme ? Pourquoi un affrontement direct entre Riyad et Téhéran est-il improbable ? Qui est le prince Mohammed Bin Salman ? Pourquoi la relation stratégique entre Etats-Unis et Arabie Saoudite a-t-elle changé? L’Arabie Saoudite suscite fantasmes et inquiétudes : nature absolue de la monarchie, absence de liberté d’expression, ségrégation entre hommes et femmes. Aujourd’hui, les défis sont nombreux pour Mohammed Bin Salman, le nouveau dauphin du Royaume : réinventer l’économie politique avec son projet « Vision 2030 », sortir de la dépendance pétrolière ou encore répondre aux attentes qu’il a suscitées auprès de la jeunesse. 100 questions sont plus que jamais nécessaires pour comprendre la complexité historique, culturelle, religieuse, sociale et politique de l’Arabie Saoudite.

 

Prix : 18chf

Ce n’est pas Beyrouth, par Elias Khoury

Un couple et des enfants regardent les dommages causés il y a dix jours par l’explosion du port de Beyrouth, le 13 août 2020 Photo -. AFP

Dans Libération Par Elias Khoury, Écrivain libanais — 15 août 2020 à 13:59
Pour l’écrivain et journaliste libanais, la déflagration qui a réduit la ville à l’état de ruine n’est pas une coïncidence, elle n’est que la vérité qui éclate, celle que des dirigeants corrompus ont voulu camoufler jusque-là.
Ce n’est pas Beyrouth, par Elias Khoury
Si, c’est bien Beyrouth !

Ville détruite, meurtrie, où le sang se répand partout tout comme les tessons de verre qui éclaboussent les yeux.

Ville pavée du verre qui s’amasse dans les rues autant que les yeux arrachés. Pour voir, il faut marcher sur les yeux et, sitôt qu’on voit, on devient aveugle.

Ville de l’aveuglement, par le verre, par le nitrate d’ammonium, par l’explosion qui a happé les gens et qui a fendu la mer.

Non, ce n’est pas Beyrouth !

Depuis quarante-cinq ans, nous ne cessons de répéter que ce n’est pas Beyrouth. Nous avons perdu Beyrouth à force de la chercher dans son passé.

«La-ville-qui-n’est-pas» c’est ainsi que nous évoquons notre ville. Depuis le début de la guerre civile et des destructions, nous n’avons de cesse de nous référer au passé de la ville. Et hier, en nous écroulant par terre devant le monstre qui a explosé soudain dans le port de la ville, nous nous sommes rendu compte que la destruction était notre ville même, que ces maisons éventrées et sans murs étaient nos maisons, que ces gémissements étaient les nôtres.

Si, c’est bien Beyrouth !

Levez les yeux mes amis, regardez votre ville dans le miroir de ces décombres, cessez de scruter son passé défectueux ! Ne restez pas là à vous étonner, car la déflagration qui a réduit votre ville à l’état de ruine n’est pas une coïncidence, ni un incident, elle est votre vérité, celle que vous avez longtemps tenté de camoufler.

Une ville livrée aux bandits, spoliée par l’hégémonie des abrutis, déchirée par les princes de guerre à la solde des puissances étrangères. Une ville qui a explosé après une longue agonie.

Ne demandez pas à votre ville qui l’a tuée : elle a été tuée par ses dirigeants. Beyrouth en est consciente et vous tous le savez bien.

Ses assassins sont ceux-là mêmes qui ont voulu mettre fin à la révolte du 17 octobre en formant un gouvernement de marionnettes technocrates tout en lâchant dans les rues les chiens de la répression.

Ses assassins sont les mafieux des partis communautaristes qui ont fait main basse sur le pays, ceux qui ont proclamé la fin de la guerre civile en métamorphosant le spectre de la guerre en régime politique.

Ses assassins sont ceux qui ont élu Michel Aoun Président de la République, transformant en mascarade le désastre créé par l’oligarchie.

Beyrouth, votre ville, notre ville, se meurt. Elle a explosé, la chair de ses enfants s’est dispersée partout. Il y a six ans, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium ont été interceptées et stockées dans un entrepôt au port ! Quelle horrible imprudence ! Quelle stupidité !

Par le passé, les princes de la guerre civile avaient fait enterrer les déchets chimiques dans nos montagnes et aujourd’hui, nous constatons que l’insouciance de ces mêmes princes – devenus les mafieux d’une époque dite celle la Paix civile – a permis de frapper Beyrouth avec quelque chose qui ressemble à une bombe atomique. Ils ont assis leurs trônes sur les cadavres de nos morts, sur notre pauvreté, sur notre faim.

Hyènes ! Nos dépouilles ne vous ont pas rassasiées ?! Mais dégagez enfin ! Il est temps que vous débarrassiez le plancher ! Laissez-nous à notre pays que vous avez précipité dans le gouffre. Partez dans les îles des Caraïbes, là où vous avez amassé les fortunes que vous avez volées au peuple, là où vous rêvez de vivre dans le luxe et dans l’opulence !

Vous ne serez donc jamais rassasiées ? L’heure de votre fin a sonné ! Notre mort, nos cœurs suppliciés sont les armes avec lesquelles nous défierons ces temps d’obscurité et d’humiliation. Nous vous affronterons avec nos cadavres brûlés et avec nos visages lacérés. Vous serez englouties avec nous dans le magma de ce cataclysme. Écoutez bien ! Beyrouth a explosé pour clamer votre fin, non la nôtre !

Beyrouth n’est pas dans son passé, Beyrouth est dans son présent, elle saigne, mais elle reste digne.

Nous ne voulons qu’une seule chose : que vous fichiez le camp ! Allez-vous-en ! Allez en enfer, partez avec tous ces banquiers qui ont joué notre mort à la bourse. Laissez-nous panser les blessures de Beyrouth, laissez-nous consoler notre ville, lui dire qu’elle reviendra, pauvre, mais radieuse, éreintée, mais renaissante, mutilée, mais capable de nous serrer dans ses bras et d’essuyer nos larmes.

Il est fini le temps des salauds qui se sont joué de nos destinées ! Nous ne voulons pas du pétrole de vos maîtres, nous ne faisons pas confiance à la politique prétendument inflexible de vos mollahs et nous n’avons que faire de toutes vos communautés !

Emportez toutes vos sectes et dégagez ! Fichez-nous la paix !

Et vous, magnifiques jeunes de l’insurrection du 17 octobre, sachez que l’heure de la révolution générale est enfin arrivée.

Révoltez-vous, pour venger Beyrouth !

Révoltez-vous pour construire une patrie avec ces ruines !

Révoltez-vous pour redessiner Beyrouth avec le sang de ses enfants !

Traduit de l’arabe par Rania Samara

Elias Khoury, écrivain libanais majeur, auteur d’un grand nombre de romans à succès, dont Le Petit homme et la guerre, La Porte du Soleil, Yalo, les Enfants du ghetto.

Elias Khoury Écrivain libanais

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