« Tous des oiseaux » de Wajdi Mouawad remporte un prestigieux prix à Paris

« Tous des oiseaux », une pièce autour de l’identité et du conflit israélo-palestinien du metteur en scène d’origine libanaise Wajdi Mouawad a remporté le prestigieux Grand Prix de la critique remis lundi à Paris. Photo Michel Sayegh

 

 

« Tous des oiseaux », une pièce autour de l’identité et du conflit israélo-palestinien du metteur en scène d’origine libanaise Wajdi Mouawad a remporté le prestigieux Grand Prix de la critique remis lundi à Paris.

Cette pièce de près de 4 heures en arabe, hébreu, anglais et allemand, est à la fois une fresque historique et l’histoire intime d’une famille juive et prend à bras le corps les déchirures d’aujourd’hui. Présentée au théâtre parisien de la Colline que dirige Wajdi Mouawad, elle a reçu également le prix de la meilleure création d’éléments scéniques.

« Tous des oiseaux » est une prouesse linguistique ; Wajdi Mouawad a entièrement rédigé son texte en français, avant de le traduire en quatre langues qui s’enchevêtrent au fil de la représentation : de l’anglais à l’allemand, en passant par l’arabe et l’hébreu. La langue est en soi un sujet de tension : c’est dans la langue que les personnages se cherchent et qu’ils tentent de se définir, même s’ils sont voués à l’échec. Le texte fondateur est donc à lire dans les sous-titres, qui ont une fonction inversée par rapport à d’habitude. Les mots de la scène ont une existence sonore, presque entièrement sensorielle ; par la fluidité des passages d’une langue à l’autre, on revient à une parole brute, performative et poétique. Les comédiens ont une présence immédiate et habitent leur langue naturellement, de manière saisissante.

Une fois de plus, Wajdi Mouawad explore les brûlures de l’histoire, notamment le conflit israélo-palestinien. Sous nos yeux : une rencontre meurtrière de l’histoire avec l’histoire. Dans Tous des oiseaux, la guerre s’entend : des bombardements assourdissants, des sirènes stridentes d’ambulances, des génériques d’informations, des cris d’enfants qui cherchent leurs parents en arabe et en hébreu, les voix placides des journalistes…

Sur scène, l’ambiguïté des situations de guerre est montrée. Lors d’une fouille de Wahida par une soldate israélienne, on bascule dans l’érotisme, avant que retentisse la détonation d’une explosion. La soldate, de moins en moins crédible, conclut : »Il faut crever l’abcès de l’histoire », mélange des genres décapant entre tragique et comique.

« Quel est l’événement fondateur de Tous des oiseaux ?  » avait demandé L’Orient-Le Jour à l’artiste en décembre 2017. « Il y a quinze ans, je me suis posé une question qui peut paraître saugrenue : comment se passe la question du don d’organe en Israël ? Quand un organe vient de quelqu’un qui n’est pas de notre communauté et qu’on est juif orthodoxe, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que l’organe est accepté ? Le don d’organe est intéressant, car par principe, on ne sait pas d’où il provient. Et si c’est le cœur de son ennemi ? Et si c’est un hutu à qui on greffe un cœur tutsi ? Puis j’ai rencontré Nathalie Zamon Davis, qui a rédigé un livre sur Hassan al-Wazzan, dit Léon l’Africain. Une collision s’est opérée entre le personnage d’al-Wazzan, Nathalie, le thème des dons d’organe, la question de l’ennemi qui vous sauve la vie… », avait-il alors répondu.

(Pour mémoire : Wajdi Mouawad là-haut sur la Colline)

Le prix du meilleur spectacle créé en province revient à « Saïgon » de Caroline Guiela Nguyen, pièce événement du estival d’Avignon 2017, sur des récits d’exilés vietnamiens de la première et deuxième génération. « Tristesses », où la metteure en scène belge Anne-Cécile Vandalem raconte à la manière d’un polar scandinave la prise de pouvoir cynique d’une dirigeante d’extrême droite au Danemark, remporte le prix du meilleur spectacle étranger.

Le comédien Benjamin Lavernhe, dont la prestation a été qualifié d' »époustouflante » par la presse, reçoit le prix du meilleur comédien pour « Les Fourberies de Scapin », mise en scène par Denis Podalydès (Comédie-Française). Révélé sur grand écran dans « Le sens de la fête », il était en lice cette année pour le César du meilleur espoir masculin et pour le Molière du meilleur acteur dans le théâtre public.

Côté actrice, Anouk Grinberg a été récompensée pour son interprétation dans « Un mois à la campagne » d’Ivan Tourgueniev, mis en scène par Alain Françon. La presse avait salué son incarnation « subtile » du personnage de Natalia Petrovna, épouse frustrée. « Les ondes magnétiques », une comédie signée David Lescot sur les radios libres dans la France des années 80, reçoit le prix de la meilleure création d’une pièce en langue française.

Quant au prix du meilleur spectacle privé, il couronne « Seasonal Affective Disorder », une histoire d’amour transgressive signée Lola Molina. En musique, le Grand Prix va à l’opéra comique de Daniel-François Esprit Auber, « Le Domino Noir » (direction musicale, Patrick Davin).  Et en danse, « Finding now » d’Andrew Skeels et « Crowd » de Gisèle Vienne se partagent le grand prix, tandis que les danseurs de la « Shechter II », compagnie junior du chorégraphe Hofesh Shechter ont été sacré meilleurs interprètes.

Les prix sont décernés par l’association professionnelle de la critique de théâtre, de musique et de danse qui regroupe 140 journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, française et étrangère.

 

Wajdi Mouawad : « Aller vers l’ennemi, contre sa propre tribu, c’est aussi le rôle du théâtre… »
LE GRAND ENTRETIEN DU MOISDerrière la place Gambetta, il y a le théâtre de la Colline et le bureau de Wajdi Mouawad, qui baigne dans une lumière crue d’hiver, sous les toits parisiens. C’est un artiste très concentré qui nous reçoit, qui s’exprime avec mesure et clarté, et dont les mots ont la densité et l’efficacité de ceux pour qui l’enjeu verbal est existentiel. L’auteur parle de sa rencontre avec l’écriture, de ses rapports avec le succès, de son nouveau spectacle avec humilité et fluidité. Derrière le parcours caillouteux d’un artiste, le cheminement d’un homme pétri de doutes et d’espoir.

Joséphine EL-KHAZEN, à Paris | OLJ
12/12/2018

Comment devient-on artiste ? Vous avez dit qu’on se forme par « sédimentation »…

Pour Novalis, « toutes les vicissitudes de la vie sont des matériaux dont nous pouvons faire ce que nous voulons ». Le mot le plus important ici est « toutes »; il y a des tempéraments chez qui les perceptions de ce qui arrive s’impriment de manière photographique, et elles restent comme un souvenir. Ensuite, il y en a d’autres par-dessus, elles s’impriment sur cette même surface que sont l’esprit et la sensibilité, et on ne change pas de papier.

Quelques éléments de mon enfance m’ont marqué, comme les récits de miracles pendant la guerre et « les statues qui bougent », cela m’a fondé et passionné. En France, la découverte de la peinture lors d’une sortie scolaire au musée du Louvre. Jusque-là, je n’avais jamais pensé qu’on pouvait peindre… des pommes ! J’avais déjà vu des tableaux dans des églises où on ne regarde pas le tableau, mais le récit. Au Louvre, j’ai compris l’existence d’un tableau. Au Québec, dans le froid, l’hiver, la solitude, en livrant les journaux (ce que faisaient tous les jeunes de mon âge), j’étais porté par des frustrations, mais aussi par des rêves, des désirs, des envies.

Cette surface qu’est notre sensibilité est travaillée en permanence, mais elle doit trouver son mode d’expression, sinon elle reste une matière brute. La révélation peut se faire lors d’un événement expressif : on joue un texte avec des amis, on va au théâtre et ça donne envie d’en faire, on lit des romans, qui ont été édités, et ça donne envie d’être édité…
Quelque chose apparaît alors entre cette sensibilité additionnée et le filon qui permet l’expressivité. Ce chemin est un parcours.

 

(Lire aussi : « Tous des oiseaux », dit Wajdi Mouawad, et le spectateur y laisse des plumes)

 

« Trouve un foulard, achète un cahier, va dans les cafés, fume, écris. Fais semblant. » Tel est le conseil d’un directeur d’école canadien à qui vous exprimez votre volonté d’être écrivain. Y repensez-vous parfois ?
J’y pense tous les jours. Faire semblant… L’idée que je suis écrivain ne me rentre pas dans la tête, pas comme les écrivains que j’aime, Novalis par exemple. Mais je me dis que je peux faire semblant, c’est possible. Plus le déguisement est vrai, plus c’est vrai, et donc plus ce que je fais ressemble à une pièce de théâtre. Ça aura l’air d’une œuvre d’art, mais c’est un faux. Cette distance, c’est ce qui me libère le plus, ça me permet de ne pas arrêter.

 

Comment rédigez-vous vos pièces ?
Dès que je commence à exprimer l’envie de faire un spectacle, je dois tout raconter, sinon ça ne se fera pas. Il faut parfois sept ou huit ans avant de parler. Ensuite, définir le nombre d’acteurs, les engager et puis raconter. Le texte s’écrit au fur et à mesure des répétitions, après avoir été confronté à l’équipe pour le récit oral – toute l’équipe : des techniciens aux comédiens… Je suis fragmenté par la parole des autres. Cette fragmentation permet plus de compréhension et plus de richesse des mots, et là, les idées viennent. Alors, je note, je décante. Quelque chose se dépose sous forme de structure dramatique, puis c’est un travail de théâtre : on travaille les scènes. En travaillant au plateau, je travaille le texte, je tire des fils. Je crois que ma méthode est assez commune, c’est celle de Sophocle ou de Shakespeare, à l’époque où les auteurs étaient des metteurs en scène. Je ne peux pas écrire puis mettre en scène ; pour moi, c’est à l’envers, et j’écris avec tout. Le plateau devient mot, la chaise déplacée, la présence d’un acteur : ce sont des mots. Tout est mis ensemble pour former un texte. Le spectacle utilise des écritures diverses et tout est écriture : le nom du personnage et sa réplique, une réplique prononcée au bord de la mer, le bruit des vagues… Le choix du corps de l’acteur est écriture : un acteur gros écrit déjà des choses. Le texte est une écriture, mais pas la seule.

 

(Pour mémoire : David Grossman dans les yeux de Wajdi Mouawad)

 

Auteur et directeur de théâtre : comment fonctionne l’équation ?
Je n’ai pas un tempérament monastique et être totalement dédié au théâtre, à l’expression, au point de tout sacrifier (famille, vie sociale…) me semble difficile. Le pire, c’est de faire ce qui n’est pas dans son tempérament. Et pour moi, le rapport au monde, au réel, au social, est très important. La création ne supporte aucune intrusion du monde réel. Or, dans les moments de création, rien n’est important, d’où la volonté de franchir le pas suivant et de m’ouvrir au monde : qu’est-ce que je peux faire ? Comment participer ? Diriger un théâtre relève de ces questionnements. Le rapport à la création me déstabilise et j’ai besoin de cette ouverture : m’occuper de l’équipe, de l’écriture des autres, des gens du quartier, du public, des jeunes… Passer de la création à la direction du théâtre de la Colline correspond à mon tempérament.

 

Vous semblez proche des jeunes et avez à cœur de les impliquer dans l’actualité de la Colline. Est-ce par souci de transmission ?
Je suis attaché à cette période de la vie, lorsqu’on est sorti de l’enfance. Le monde est un horizon immense, on a l’élan de l’enchantement et l’espoir peut se fonder. La jeunesse observe le monde qui l’a éduqué. Forte de son observation, elle veut faire les choses à sa façon, c’est beau, génial et pas mortifère. J’aime d’autant plus ça que je ne m’associe pas à eux. Plus j’avance en âge et plus j’aime ça. Le monde leur appartient, il y a quelque chose de tellement vivant en inventant le langage, ils ont de nouvelles préoccupations, ils sont à un âge où ils ont besoin de parole, de mots, de dialogue… J’ai envie d’être avec eux comme j’aurais aimé qu’on soit avec moi.

 

Que souhaitez-vous à la jeunesse libanaise ?
Je lui souhaite une manière nouvelle de faire de la politique par le décloisonnement, l’intelligence et la sensibilité. Elle doit se demander comment l’expérience traumatique commune de la guerre pourrait être un espace de reconstruction, une reconstruction non clivée. La jeunesse libanaise doit rejeter les clivages que ses grands-parents ont subis et entretenus.

 

(Pour mémoire : Un rendez-vous déjanté avec la mort)

 

Quelle est la place du temps dans votre écriture ?
Pour moi, il y a trois temps : le temps historique, le temps messianique ou religieux (on attend quelque chose) et le temps métaphysique
Dans mes pièces, on trouve une combinaison des trois. L’histoire et la situation historique sont déterminants (les deux guerres mondiales, la guerre du Liban…) : je vois l’histoire comme une goudronneuse dans nos existences. Elle écrase le temps des individus (la guerre civile libanaise a défait de nombreuses familles) et fait apparaître des thèmes adjacents (nostalgie, mélancolie…).
La combinaison de ces trois temporalités crée le temps du théâtre du début à la fin de la pièce. L’enjeu pour l’auteur et le spectateur est le même : comment traverser le temps de la représentation ?

 

Quel est votre lien avec le public ? S’agit-il d’un rapport de séduction ?
C’est une relation, et la séduction est présente dans les prémices. Il doit y avoir de la séduction dans la manière d’aborder une histoire. Mais très vite, l’histoire d’amour entre l’auteur et le spectacle tourne au vinaigre : la séduction devient une menace, car une guerre s’opère entre l’auteur et son texte. Le danger pour un auteur, c’est d’être trop séduit par son spectacle. Parfois il faut couper, renoncer, avancer avec un couteau pour aiguiser le texte. Quand le public arrive, l’amour et la séduction prennent tout leur sens…

 

Comment avez-vous vécu votre immense succès depuis Littoral et Incendies ?
Très, très mal. Je ne sais pas comment le gérer. Je ne sais pas ce qu’il signifie, je ne le personnalise pas : j’ai l’impression qu’il s’agit de quelqu’un d’autre. J’essaye de m’abstraire de rapports avec le public, je l’évite, je ne sais pas comment le porter, et je me sens faux quand je le vois.

 

Travaillez-vous sur un projet de roman ?
Oui, il a encore besoin de quelques années. Je n’ai pas le désir d’avoir une œuvre romanesque très nombreuse. Avec quatre, je serai content.
Mon prochain roman est costaud, le Liban est encore au centre ; en fait, il est au centre de chaque partie de mon œuvre. Pour rédiger un roman, je pars d’un fil. Formellement, c’est très complexe. Cette fois, c’est un événement de mon enfance. Quand la guerre a commencé, mon père nous a fait faire 5 visas : pour l’Égypte, le Royaume-Uni, la France, les États-Unis et l’Italie. Quand il a fallu quitter le Liban très vite, mon père a envoyé mon frère à l’aéroport pour qu’il se renseigne sur le départ le plus rapide vers une de ces destinations. Et ce fut la France. Que serais-je devenu si ça avait été l’Italie ? Je vis avec quatre frères jumeaux à l’intérieur de moi, et mon prochain roman met en scène ces cinq possibilités.

 

Tous des oiseaux est votre nouveau spectacle, le premier que vous présentez à la Colline. Que veut dire ce titre ?
La pièce s’appelait au départ Le chant de l’oiseau amphibie, mais j’ai trouvé le titre trop réducteur, car ce texte parle de tout le monde. Il renvoie à de l’aérien, du mouvement : l’oiseau ne reste jamais posé très longtemps et ce mouvement nous concerne tous. L’identité fixée n’existe plus, elle devient même étrange.

 

(Pour mémoire : Wajdi Mouawad là-haut sur la Colline)

 

Vos textes naissent souvent d’une rencontre. Quel est l’événement fondateur de Tous des oiseaux ?
Il y a quinze ans, je me suis posé une question qui peut paraître saugrenue : comment se passe la question du don d’organe en Israël ? Quand un organe vient de quelqu’un qui n’est pas de notre communauté et qu’on est juif orthodoxe, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que l’organe est accepté ? Le don d’organe est intéressant, car par principe, on ne sait pas d’où il provient. Et si c’est le cœur de son ennemi ? Et si c’est un hutu à qui on greffe un cœur tutsi ? Puis j’ai rencontré Nathalie Zamon Davis, qui a rédigé un livre sur Hassan al-Wazzan, dit Léon l’Africain. Une collision s’est opérée entre le personnage d’al-Wazzan, Nathalie, le thème des dons d’organe, la question de l’ennemi qui vous sauve la vie…

 

Dans Tous des oiseaux, vous êtes-vous senti dépossédé de votre langue d’écriture, le français ?
Dans mes textes précédents, je n’ai pas posé la question de la langue. Tous des oiseaux, c’est l’histoire d’une famille juive éclatée sur trois continents, et les différentes langues se sont imposées.
Il était important de respecter les langues originales des personnages. J’ai dû modifier ma méthode et la décaler : j’ai écrit avant de répéter, car il a fallu traduire mon texte en quatre langues, anglais, allemand, arabe et hébreu, avec des surtitres en français. Comme auteur, je me suis retiré : on n’entend pas ma langue d’écriture. Les surtitres ne sont pas le texte complet. Il y a eu la disparition de ma langue, peut-être ai-je voulu revivre la disparition de ma langue maternelle quand j’ai quitté le Liban avec ma famille ? Oui, c’est bien une dépossession, mais maîtrisée.

 

Poétique et politique se retrouvent-elles sur scène ?
Dans ma dernière pièce, elles se rejoignent très nettement. La situation est d’emblée posée en termes politiques, en mettant en scène trois langues problématiques ensemble : l’arabe, l’allemand et l’hébreu. En cas de litige, on emprunte l’anglais. D’une certaine manière, la situation du Moyen-Orient est liée à la langue allemande. Dans mon spectacle, je les mets ensemble dans un conflit familial. Cela articule une situation intime avec une situation plus globale, et c’est ce qui m’intéresse : comment l’intime est bouleversé par la marche du monde.

 

La figure de l’ennemi est récurrente dans votre œuvre. Que dire de cette thématique dans le Liban actuel ?
Au Liban, le contexte de guerre est encore très présent, cela vient de la façon dont nous vivons les suites de la guerre. Je remarque que chacun des clans de la mosaïque est incapable de faire un travail sur lui-même, incapable de prendre de la distance par rapport à ses responsables, à ce qu’ils ont fait. Chacun se focalise sur ce qu’il a subi. Tant que personne ne se responsabilise, la réconciliation est impossible. Je ne peux pas faire ce travail pour un autre clan. À partir de là, une question : quelle est la part de responsabilité de mon clan, ce clan auquel je suis attaché et où je me reconnais ? En essayant d’y répondre, j’agis dans un sens qui me semble juste. C’est ce qui arrive dans d’autres communautés : des artistes, des sociologues, des journalistes le font. Mais quelque chose résiste, l’amnésie résiste.

 

C’est la question de l’engagement de l’artiste qui est en jeu ?
Dans le contexte politique régional, la question de l’engagement se pose à plus forte raison quand on est écrivain : que faire ? Écrire contre ? Écrire pour ? Ne pas écrire ? Écrire pour aller dans le sens des souffrances de mon propre peuple ? Mais mon peuple non plus n’est pas l’innocente victime, comme on a voulu me le faire croire. Quel chemin suivre quand il n’y a pas d’espoir de voir ce conflit s’achever ? Si la réconciliation est très éloignée, la destruction est impensable. Reste alors une situation de pourrissement qui se transmet de génération en génération.
Ma manière d’être consiste à refuser de conforter mon clan, à agacer mon camp, celui des Libanais chrétiens de confession maronite. On m’a appris à détester tous ceux qui n’étaient pas de mon clan. Sans le préméditer, lorsque j’ai commencé à écrire du théâtre, je me suis obstiné à créer des personnages, qui étaient justement ceux que l’on m’avait fait haïr, en leur donnant les plus beaux rôles, en faisant d’eux les vecteurs des plus fortes émotions.
Il en va ainsi des musulmans dans Incendies et d’un Palestinien dans Anima. J’ai envie d’écrire et d’aimer les personnages de Tous des oiseaux ; c’est insignifiant, ça n’apportera pas la paix, mais c’est aussi le rôle du théâtre : aller vers l’ennemi, contre sa propre tribu. Quant à ceux qui, ces derniers temps, ont soulevé la question du soutien de l’ambassade d’Israël à Tous des oiseaux, ils méconnaissent malheureusement la production en spectacle vivant. L’ambassade a payé les billets d’avion des artistes israéliens qui sont sur ce plateau, comme il se fait très régulièrement dans le théâtre. Rien de plus

 

La question de l’identité semble résolument être au cœur de votre écriture…
Oui – ou plutôt, le danger de la corrélation entre identité et origine. Je dirai toujours que mon origine est libanaise, mais mon identité n’est pas la même aujourd’hui que dans dix ans. L’identité continue à évoluer, elle est devant moi. Elle n’est pas fixée par l’origine, c’est un rêve. C’est une construction active avec les autres, avec soi, elle est en chemin, elle n’est pas la maison. C’est la confusion entre identité et origine qui crée le rejet.

 

« Maintenant, nous sommes ensemble, ça va mieux. » Cette phrase extraite d’Incendies résume-t-elle votre approche du théâtre ?
Le théâtre, ce sont des vivants ensemble, il n’y a pas de morts. On regarde des gens vivants. Alors que le cinéma est un rapport solitaire (chaque spectateur est seul devant l’écran), au théâtre, le groupe apparaît autour d’une parole. La danse aussi, mais ce n’est pas autour d’une parole. Le théâtre est un rassemblement autour du langage, des mots, de l’écriture, de ce qui nous définit comme humains. On est rassemblés autour de ce qui nous détermine. Au théâtre, on n’essaye pas de convaincre, on se pose des questions : qui sommes-nous ; comment faire face à la vie et à la mort; qu’est-ce que les enfants ; qu’est-ce que le mal ? Quand on se pose ensemble une question profonde, ça va mieux.

 

Vous rêvez d’un « miracle, d’un spectacle qui bouleverserait tellement les gens qu’en sortant ils seraient transformés »…
Les récits et les émotions sont des vecteurs de transmission et de transformation. Ce n’est pas dogmatique. Ce que je propose s’additionne à d’autres propositions. Attention au danger des émotions qui peuvent manipuler le spectateur. Le défi est de créer de façon que l’émotion jaillisse là où on ne l’a pas calculée. Pour cela, on travaille par ricochet, par aveuglément. On ne travaille pas en ligne directe, sinon on est dans la manipulation. C’est très intuitif, il ne faut pas voir le poisson, mais le deviner, aller vers lui, et avancer comme Orphée.

 

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Le théâtre arabe fait le procès des tueurs

Le théâtre arabe fait le procès des tueurs le 20.01.17
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Pièce irakienne «Kharif» (Automne) de Samim Hasballah
«Désolé si nous sommes durs avec vous. La réalité est plus dure encore», écrit le metteur en scène irakien Samim Hasballah dans le dépliant du spectacle Kharif (Automne), présenté, mardi soir, dans un espace non conventionnel, la médiathèque Bekhti Benaouda d’Oran, dans la section off du 9e Festival du théâtre arabe clôturé hier.

La pièce a été construite à partir des textes du dramaturge français Jean Genet, Haute surveillance, et de l’Irakien Haidar Jomaa Sirdab (La Crypte). La densification des deux textes a donné un spectacle intense en cruauté et en scènes choc. Samim Hasballah s’est visiblement appuyé sur le théâtre d’Artaud, mais en s’éloignant quelque peu de la philosophie défendue par le théoricien français.

La scénographie développée par Ali Mahmoud Soudani ne pouvait pas se faire sur scène puisque l’espace est un personnage à part entière. D’où le choix de la crypte de la cathédrale du Sacré Cœur d’Oran (siège de la médiathèque) pour interpréter une pièce qui met «en souffrance» le spectateur dès le début avec des cris forts. Les cris de deux hommes aux yeux bandés qui sont bousculés par deux autres hommes violents et silencieux.

Ils sont poussés vers le mur, vers les poutres, vers le sol. Des coups de pieds au ventre, des gifles, des coups de poing… Les tortionnaires semblent prendre plaisir à martyriser leurs victimes, ne s’arrêtant qu’à l’appel du muezzin. L’un d’eux prend une douche avec un bidon de sang en y trouvant de la jouissance. Les tortionnaires, qui allaient achever les deux captifs, disparaissent en s’engouffrant dans une porte rouge sombre.

Les deux prisonniers, l’un sur l’autre, commencent peu à peu à se découvrir, à constater qu’ils sont dans un endroit d’où ils ne peuvent pas s’échapper et à sentir qu’ils sont encore envie. Ils ne se parlent pas, ils communiquent par le langage du corps. Ils exécutent alors une danse macabre avant d’entamer un dialogue haché. Ils semblent éprouver de la haine l’un envers l’autre sans que l’on comprenne la raison. Le spectacle évolue autrement lorsqu’une une fontaine de sang explose au milieu de la cour de ce qui paraît être un asile psychiatrique ou une ancienne maison.

Un lieu qui regroupe d’anciens tueurs habillés en blanc, qui portent les germes de la destruction et de la mort en eux. Ils se battent, s’insultent, racontent leur passé, parlent de leurs assassinats… Ils n’ont presque pas de regrets. «Cinquante ans et il ne s’est jamais intéressé à nous», lance le premier. «Cinquante ans à semer la discorde», réplique le deuxième. Les accusations ne s’arrêtent pas. Les petites vérités éclatent comme des balles traçantes.

L’un des hommes s’adresse au public : «Vous avez ouvert vos fenêtres et vos yeux pour voir ce que nous faisions. Vous n›avez rien dit, rien fait. Savez-vous quel est votre plus grand pêché ? Votre silence ! Nous nous cachions parmi vous mais vous avez évité de nous regarder. Vous aviez peur et peut-être que vous preniez plaisir à nous voir faire. Ou peut-être que vous vouliez qu›on tue ceux qui ne sont pas d’accord avec vous.»

Actualité macabre

L’interpellation de la société est manifeste. Les tueries en Irak, en Syrie ou en Libye se nourrissent du silence. La peur ne peut pas tout expliquer. Kharif fait le procès des tueurs et ceux qui se taisent. Le discours est parfois direct, vif, acide. Il y a une rage de dénonciation. Cela a une explication psychologique : Samim Hasballah a perdu un frère, assassiné en Irak après avoir été kidnappé. Les comédiens Yahia Ibrahim, Haidar Jomaa, Baha’a Khayoun et Hisham Jawad ont déployé de grands efforts physiques durant le spectacle avec un corps à corps répétitif et violent. La force du corps est érigée en arme.

L’un des tortionnaires porte une arme en forme de faucille, sans doute pour symboliser la mort. «Nous avions voulu répondre à la question : comment réfléchit un tueur communautaire lorsqu’il assassine ? Et comment réfléchit-il des années après ses meurtres ? Les regrette-t-il ? A-t-il peur ? Pense-t-il que ce qu’il a fait était une erreur de sa par», s’interroge Samim Hasballah. La réponse donnée dans le spectacle est tranchante, mais suscite d’autres interrogations. «Demain, lorsque ma fille deviendra adulte et rencontrera le fils d’un tueur communautaire, que se passera-t-il ?

J’en sais rien», a relevé Haidar Jomaa, qui est également directeur de Mountada Al Mashrah à Baghdad. «Kharif est une pièce qui ressemble à des scènes quotidiennes en Irak», a souligné, pour sa part, Abdallah Jarir, assistant du metteur en scène. «Nous sommes durs avec les spectateurs parce que notre vécu est encore plus cruel que ce que vous avez vu, surtout ces dernières années. Nous avons voulu juger le tueur communautaire. Il doit rendre des comptes aujourd’hui ou demain. Il le doit», a insisté Samim Hasballah.

Les assassins de la citadelle

Dans une architecture visuelle différente, la pièce Al Qala’â (La Citadelle) du Koweitien Ali Al Husseini, présentée mercredi soir au théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran, repose presque les même questions sur les tueurs, leur passé et leur présent. Un homme (Fayçal Al Oumeiri) s’arrête au milieu de la chaussée pour obliger un conducteur (Ahmed Selman) à le mener vers une petite ville.

«Le chemin est trop long», répond le conducteur. «Je suis tenté par l›aventure», réplique l›autre. La voiture s›engage sur une route plongée dans l’obscurité. Le premier presse l’autre de faire vite avant l’arrivée de la tempête et de marquer un arrêt dans un cimetière. «Je ne m’arrête pas», tranche le chauffeur. «Tu ne sais pas que la ville est devenue un cimetière.

Tous les chemins mènent au cimentière, pas à Rome», réplique le passager, qui propose de changer «cimetière» par «jardins suspendus» (comme ceux de Babylone ?). La tempête arrive. «La tempête n’arrête pas les loups dans leurs parcours», lâche le passager. «Je ne vois rien, je ne vois rien», crie le conducteur. Le véhicule tombe dans un ravin, se disloque. Les deux hommes se retrouvent étalés sur le sol, dans… un cimetière.

Souvenirs

Là, commence le conflit. Le passager raconte comment il a été détenu les yeux bandés et comment son épouse a été tuée sous ses yeux. Il raconte les carnages. Le conducteur est en fait l’un des assassins. «La tombe que tu vois là est celle de ta mère !», lance le passager à son adresse. L’autre s’effondre et commence à se remémorer les crimes qu’il a commis. «Je n’obéissais qu’aux ordres», tente-t-il de se défendre. A-t-il des regrets ? Le passager fait le procès du tueur impitoyable, dévoile ses faiblesses, dénonce sa violence et menace de le liquider. Le cimetière collectif, qui prend parfois des nuances grises comme celles des cendres, est le territoire de cette histoire amère, écrite par l’Irakien Abdelamir Chamkhi avec des larmes.

Les tombes se métamorphosent en vieux lits alors que l’épouse suppliciée du passager revient comme un fantôme pour chanter et pour hanter l’esprit de l’assassin… Sur tous les plans, la pièce El Qala’â, qui peut relever du théâtre de l’absurde, est une réussite tant dans la traduction scénique du texte, particulièrement sombre, que dans l’interprétation des deux comédiens (Fayçal Al Oumeiri est metteur en scène).

Ali Al Husseini, soucieux de proposer un travail esthétique soigné, a su mettre de la musique dans les moments dramatiques les plus expressifs, comme il a réussi à «faire parler» la lumière. Il a bien utilisé les accessoires dans un spectacle qui aurait pu se dérouler dans la noirceur totale, comme celle d’une nuit d’hiver. «Nous portons des préoccupations humaines. Nous dénonçons les failles voulues dans le rythme de la vie et nous refusons que l’homme perde son humanité.

L’inhumanité mène à la perte. La citadelle, lieu où se détruisent les êtres, où l’un veut supprimer l’autre, est comme beaucoup endroits de ce monde. C’est un spectacle sur les expériences répressives de l’homme», a souligné Ali Al Husseini. La dualité mort-vie dans les deux sens est fort présente dans cette pièce qui ressemble, dans sa dureté, aux autres spectacles présentés au 9e Festival du théâtre arabe. Le théâtre, art vivant, exprime le mieux les douleurs, les blessures, les tourments, les déchirements, les violences, les cassures et les peurs qui traversent la région arabe depuis au moins dix ans.

Fayçal Métaoui

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Le 9e Festival du théâtre arabe aura lieu du 10 au 19 janvier 2017 à Oran et Mostaganem

Le 9e Festival du théâtre arabe aura lieu du 10 au 19 janvier 2017 à Oran et Mostaganem. Organisé par l’Arab Theatre Institute, le festival est dédié au comédien algérien, Azzedine Medjoubi, assassiné à Alger en février 1995.

Seize pièces sont programmées au 9e Festival du théâtre arabe qui aura lieu du 10 au 19 janvier 2017 à Oran et Mostaganem. Le 10 janvier est consacré, par l’Arab Theatre Institute qui organise le festival, à la Journée du théâtre arabe. L’Office national de la culture et de l’information (ONCI) s’occupe de l’organisation en Algérie. Au 8e Festival qui s’est déroulé au Koweït en 2015, l’ONCI a décroché l’accord de préparer la manifestation en Algérie.

Huit pièces sont prévues dans la compétition pour le prix Soltane Ben Mohammed Al Kacimi : Tholth al khali (No man’ land) de Tounes Aït Ali (Algérie), Al Qala’a (La citadelle) de Ali Al Husseini (Koweït), Kharif (Automne) de Asma’a Houari et Koul chaiy an abi (Tout sur mon père) de Al dhaif Bouselham (Maroc), Thawrat Don Quichott (La révolte de Don Quichott) de Walid Daghsani (Tunisie), Al ors al wahchi (Les noces sauvages) de Abdelkrim Al Jarrah (Jordanie), Ya rab (Ô, mon Dieu) de Mustafa Setar Al Rikabi (Irak), Al khalta al sihria li saada (La potion magique du bonheur) de Chadi Dali (Egypte).

L’Algérie sera présente avec deux pièces dans la section Off du festival. Il s’agit de Foudouk al alamayn (Hôtel des deux mondes) de Ahmed Laggoun et El Guerrab oua salhine de Nabil Ben Sekka (d’après le texte de Ould Abderrahmane Kaki). Dans la même section, l’Egypte sera représentée par Zay ennas (Comme tout le monde) de Hany Afifi, la Tunisie par Doukha (Etourdissement) de Zahra Zemmouri, la Syrie par Al nafidha (La fenêtre) de Majd Fodha et l’Irak par Kharif de Samim Hassballah…

En tout, seize pièces seront présentées au public, auxquelles s’ajoutent neuf spectacles du théâtre universitaire. Le comité de sélection de l’Arab Theatre Institute, qui est basé à Shardjah, aux Emirats arabes unis, a retenu quatre autres spectacles dans la section «Troisième parcours» représentant l’Algérie, Oman et l’Arabie Saoudite et qui ont pour thématique la femme, les personnes handicapées et le patrimoine.

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«Bataille culturelle»

Le spectacle d’ouverture, Hizia, de Fouzi Benbrahim, aura lieu le 10 janvier, au soir, au Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran. Ecrit par Azzeddine Mihoubi, le spectacle, qui s’appuie sur une composition de Mohamed Boulifa et un arrangement de Hassan Lamamra, implique 75 artistes, entre danseurs, chanteurs et comédiens. Le spectacle de clôture, Rihlet hob (Voyage d’amour) de Fouzia Aït El Hadj, d’après un texte de Omar Barnaoui, aura lieu le 19 janvier 2017 à Mostagnem. «C’est une bataille culturelle que nous menons pour réussir l’organisation du festival. Cela fait partie de nos activités.

Au début, le festival devait se tenir à Constantine, puis Alger. Et après sept mois de tournée, décision a été prise de l’organiser à Oran et à Mostaganem. Mostaganem sera la capitale nationale du théâtre en 2017 et Oran est la ville de Alloula. Nous souhaitons que les médias algériens participent activement pour assurer cette réussite. Nous allons rendre hommage aux comédiens de la troupe du FLN d’avant l’indépendance du pays.

Un livre restituant l’histoire de cette troupe sera publié. Nous dédions le festival à Azzedine Medjoubi parce qu’il est le fils du théâtre algérien, un symbole représentatif de tous. Toutes les institutions de l’Etat, dont le ministère de la Culture, nous soutiennent dans l’organisation de ce festival. Le but est de promouvoir le théâtre algérien», a déclaré Lakhdar Bentorki, directeur général de l’ONCI, lors d’une conférence de presse à la salle Atlas à Alger, dimanche 25 décembre. L’ONCI a, selon lui, sollicité une quarantaine d’hommes et de femmes de théâtre pour préparer l’événement.

«Nous n’avons pas marginalisé le Théâtre national algérien (TNA). Nous avons sollicité l’université. La préparation du festival est collective. Nous devons être à la hauteur, car l’Arab Theatre Institute évalue le degré de réussite de chaque pays dans l’organisation du festival», a-t-il appuyé. Le Festival du théâtre arabe est itinérant. Lakhdar Bentorki était entouré de certains membres du comité d’organisation, à savoir Omar Fetmouche, Hamida Aït El Hadj, Fouzia Akkak, Smaïl Inezarene et Ahmed Madi.

Nouvelle donne

«L’Algérie est le seul pays à avoir eu une troupe de théâtre qui a participé à la lutte pour l’indépendance», a souligné Hamida Aït El Hadj qui a fait partie du comité algérien de sélection des spectacles. «Nous avons proposé une quinzaine de pièces. Mais finalement, le comité de Shardjah en a retenu trois, dont une pour la compétition. Parmi les paramètres, la pièce ne doit avoir plus d’une année et doit être basée sur un texte algérien ou arabe. Les pièces qui n’ont pas été sélectionnées seront présentées durant le festival dans les wilayas de l’ouest du pays», a indiqué Hamida Aït El Hadj, soulignant l’importance d’organiser en même temps une compétition pour le théâtre universitaire.

Lakhdar Bentorki a précisé, pour sa part, que la liste finale des spectacles en compétition et en Off a été dressée par un comité de l’Arab Theatre Institute, pas par l’ONCI. Ce comité est composé de Lina Abiadh (Liban), Aziz Khioun (Irak), Khaled Al Tarifi (Jordanie), Noureddine Zioual (Maroc), Khaled Jallal (Egypte). «Il y a beaucoup de sérieux dans le travail de l’Arab Theatre Institute dans le choix des spectacles en compétition et dans l’organisation des rencontres, des ateliers et concours.

Aussi, l’Algérie, qui a une longue expérience dans le domaine du théâtre, doit-elle apporter sa touche à travers le 9e festival», a souligné, de son côté, Omar Fetmouche, metteur en scène. Les théâtres universitaire et scolaire permettent, selon lui, d’introduire une nouvelle donne. Il a annoncé l’organisation d’une rencontre-débat sur l’action du théâtre public en Algérie. «Nous voulons étudier les nouveaux mécanismes de fonctionnement des théâtres régionaux, surtout avec l’idée qui s’impose de plus en plus relative à l’économie culturelle.

Nous allons également analyser certaines expériences arabes», a précisé Omar Fetmouche. D’autres débats sont prévus sur les parcours artistiques de Azzeddine Medjoubi et de Abdelkader Alloula. Les étudiants de la faculté des lettres et des arts de Mostaganem vont assister à deux rencontres sur la critique théâtrale et sur l’esthétique visuelle.

Les universitaires Maklouf Boukrouh (Algérie) et Saïd Ali Ismaïl (Egypte) analyseront l’évolution du texte théâtral arabe en croisant les expériences de Maroun Al Nakkache et de Brahim Daninos. Les résultats de trois concours seront annoncés lors du festival : texte de théâtre pour adultes, texte de théâtre pour enfants et recherche scientifique en arts dramatiques. Une exposition photos sur le théâtre algérien, Abdelkader Alloula, Azzedine Medjoubi et la troupe du FLN est prévue à la salle de l’APC d’Oran (en face de l’hôtel Royal) et à la salle de la maison de la culture de Mostaganem.

Ahmed Madi, président du Syndicat national des éditeurs de livres, a annoncé, pour sa part, l’organisation d’une exposition-vente des ouvrages consacrés au théâtre et aux arts de scène à Oran et à Mostaganem. L’Arab Theatre Institute organise également une exposition des livres et revues sur les arts dramatiques parus récemment dans les pays arabes. Une conférence de presse sera animée le mercredi 4 janvier 2017 en Algérie avec la présence des responsables de l’Arab Theatre Institute et de l’ONCI pour annoncer tous les détails du festival.

Fayçal Métaoui

La Syrie attend sa sortie du coma

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Le patient syrien

Damas 2015-2016. Une chambre d’hôpital, où coule une lumière verdâtre. Y défilent une maman voilée, une sœur émigrée au Liban, un ami fumeur de haschisch et une amoureuse émancipée. Tous quatre spécimens de la population syrienne, qui veillent sur l’objet de leur amour, un jeune homme plongé dans le coma depuis qu’il a traversé un checkpoint voisin. Entre la vie et la mort, Taym a, contrairement à ses proches, le pouvoir de s’extraire de son corps et d’assister au remue-ménage causé par son profond sommeil. Parfois, il s’élève, pour surplomber son entourage depuis une plate-forme baignée de reflets orangés. Là-haut, il croise un autre comateux, moins pacifique que lui, plus tenté par le djihad. Il y chante, il y joue. Et il y monte, dans une cabine céleste, le documentaire en cours de tournage qu’il consacrait à son pays, depuis la révolution avortée de 2011 jusqu’aux interminables limbes de la guerre civile…

Pensé, dirigé, interprété et réglé de main de maître, Alors que j’attendais joue à qui mieux mieux du symbole. Celui qui invite à comparer la Syrie à un zombie saute aux yeux. Mais le spectateur avide de butiner au Proche-Orient une sagesse plus universelle aura loisir de s’attacher à la métaphore qui rapproche la nature en général, et la gesticulation humaine en particulier, à ces frontières poreuses que traversent les fantômes. En metteur en scène inspiré, Omar Abusaada lui servira le motif persistant d’un vase de fleurs, coupées quoique encore odorantes. Il ira même jusqu’à évoquer le théâtre dans son ensemble comme un organisme détaché du cerveau qui l’engendre. La leçon, pour qui se montre patient, recouvre tant l’histoire, la politique, que la philosophie.

La Bâtie : On guettait le metteur en scène syrien Omar Abusaada. Introuvable. Son compatriote, l’acteur Mohamed Al Rashi, prend sa place pour une interview par contumace.

 

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La sœur, la mère, l’ami et la fiancée sont suspendus au pronostic vital de Taym, inconscient depuis son tabassage à Damas. Au-dessus, deux fantômes commentent.? Image: D. NADEAU