Si Kushner savait…

Le haut conseiller, et gendre, du président des États-Unis, Jared Kushner, en septembre 2018. Nicholas Kamm/AFP

POINT DE VUEDominique EDDE | OLJ13/07/2019

Si monsieur Kushner avait pris la peine de se représenter le montant de vies brisées, de deuils, de séparations, d’humiliantes défaites endurés par les Palestiniens, s’il avait mesuré ne serait-ce qu’un peu le prix payé par les voisins de la Palestine – le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’Égypte – depuis soixante-dix ans, il aurait eu honte. Il n’aurait pas osé son discours à Bahreïn. Il n’aurait pas eu le sang-froid de sauter à pieds joints par-dessus tant de désastres, il se serait abstenu de les chiffrer en dollars. Il aurait commencé par présenter ses condoléances au peuple palestinien ainsi qu’à toute une région – le Moyen-Orient – qui n’en finit pas de compter ses morts, ses blessés, ses réfugiés. Il aurait cherché une phrase, un mot qui apaise les mémoires. Il aurait aidé son allié israélien à reconnaître le tort causé par la création de l’État d’Israël. S’il avait la moindre idée de ce que signifie la perte brutale d’un village, d’un toit, d’un champ d’oliviers, d’une mémoire séculaire, il aurait spontanément nommé ce à quoi les Palestiniens ont dû renoncer par la force. Il aurait fait exister l’histoire de ce peuple avant de le doter d’autoroutes et de lui dicter son nouveau visage. Il ne l’aurait pas évoqué à la troisième personne du singulier. Il l’aurait regardé en face. Il n’aurait pas commencé par le volet financier, il aurait commencé par proposer aux Israéliens de renoncer au grand minimum : les colonies ; et aux Palestiniens de renoncer au grand maximum : les trois quarts de leur ancien territoire. Il n’aurait pas pris pour seuls interlocuteurs les banquiers et les hommes d’affaires des monarchies pétrolières. Il aurait eu à l’esprit les millions d’Arabes ignorés, maltraités, plutôt que les millions de dollars fraîchement imprimés. Il se serait souvenu que les gens dont je parle se sont soulevés en 2011 pour faire entendre aux pouvoirs (que les États-Unis soutenaient sans état d’âme) qu’ils en avaient assez de vivre sous la botte. Il aurait au moins hésité, tâtonné, il aurait pris des gants.

S’il avait consenti à se représenter Jérusalem quinze ans avant sa naissance, il n’aurait pas réclamé sans scrupule qu’elle devienne la capitale d’Israël. Il aurait compris qu’il appartient à tous de renoncer à cette ville pour qu’elle appartienne à tous. Et où monsieur Kushner envisage-t-il de lever cette somme de 50 milliards de dollars sinon parmi les grosses fortunes des pays du Golfe qui dépendent entièrement des États-Unis pour leur sécurité ? Il est vrai que les pouvoirs arabes n’auront pas démérité leur réputation de vendus, mais faut-il que l’argent du pétrole qui leur a fait perdre toute décence ait eut le même effet sur leurs tuteurs, prétendus pouvoirs « civilisés » ? Faut-il que les Arabes en général ne soient aux yeux de monsieur Kushner que des richards ou des larbins pour qu’il ait si peu à leur dire et autant à leur demander. Où prend-il le droit de traiter l’histoire d’un grand malheur à travers des recettes de promotion immobilière et de chirurgie esthétique ? Pense-t-il sérieusement que cette paix achetée aujourd’hui au prix de la dignité tiendra encore demain ?

In english : If only Kushner knew…

Prendre acte de la défaite

Il ne s’agit pas de nier que les Palestiniens ont perdu la bataille (les Arabes, n’en parlons pas), et que le rapport de forces est incontestablement en faveur des Israéliens. Il ne s’agit pas de revenir en arrière. Il ne s’agit en aucun cas de mettre l’existence des Israéliens en danger. Il s’agit du contraire. Il s’agit de prendre acte de la défaite et de songer à l’avenir des deux peuples, israélien et palestinien – avec leurs passés et leurs traumatismes à l’esprit. Il s’agit de rapprocher leurs mémoires, de les écouter. De donner les moyens à un Israélien installé sur l’ancienne terre d’un Palestinien ou sous les arcades d’une vieille maison arabe à Jérusalem les moyens d’imaginer à quoi ressemble aujourd’hui la vie des familles de ses anciens propriétaires dans des camps de réfugiés ou même en exil à l’autre bout du monde. De donner à un Palestinien les moyens de se représenter le cauchemar que fut le génocide nazi à la veille de la création de l’État d’Israël, quand bien même les Arabes n’y sont évidemment pour rien. Il s’agit de faire le contraire de ce que fait l’ami de Kushner, l’incendiaire Benjamin Netanyahu. Il s’agit d’aider les Palestiniens à perdre et les Israéliens à donner autre chose que ce qu’ils ont pris : à comprendre que c’est à eux de dédommager les Palestiniens. Y compris sur le plan financier, selon les règles élémentaires du droit. À eux de se figurer qu’un pays tel que le Liban n’aurait pas vécu quinze ans de guerre infernale, n’était la présence de centaines de milliers de Palestiniens sur son territoire, et ne connaîtrait pas aujourd’hui la présence militaire du Hezbollah si celle-ci ne s’était constituée à partir de sa résistance contre Israël. À eux d’arrêter la colonisation. À eux de faire de la place à l’autre pour protéger la leur. Les routes et les ponts que veulent construire Kushner et son beau-père avec des maçons palestiniens, c’est dans les esprits qu’il faut d’abord les édifier, avec une autre sorte de maçons, avec des artisans de la mémoire venus des deux peuples. Ce travail de reconnaissance qui a manqué à tous les accords de paix – lesquels ont tous lamentablement échoué – est un préalable en dehors duquel tous les échafaudages israélo-américains s’effondreront.

Pas un « lobby juif », mais des lobbys « pro-israéliens »

Je m’adresse pour finir aux membres de l’organisation que Jared Kushner connaît si bien de l’intérieur : l’Aipac. Nous savons tous – notamment par les informations qui ont fuité malgré la censure – que ce lobby fonctionne à partir de quelques principes intangibles : faire apparaître l’ennemi sous son jour le plus menaçant, contrôler les récits, discréditer toute initiative qui pourrait laisser entendre que la vérité est un bien qui se partage. Je ne refuse pas de comprendre la peur, la phobie qui sous-tendent cette crispation, cette construction sans faille de l’ennemi. Mais je pose une question simple : l’Aipac a-t-il accessoirement un quelconque projet de paix ? Si oui, est-on en droit de savoir sur la base de quels renoncements/concessions réciproques ? Car, n’en déplaise à Kushner, près des trois quarts des juifs américains ne partagent ni ses vues, ni celles de Netanyahu, ni celles de l’Aipac, ni celles de leurs grands alliés du moment, les chrétiens évangéliques, qui leur assurent un soutien politique et financier considérable. Plus de 75 % des juifs aux États-Unis ont voté pour les démocrates aux élections de mi-mandat de novembre dernier. L’opinion publique arabe n’est pas toujours informée du fait qu’il n’y a pas un « lobby juif » aux États-Unis, mais des « lobbys pro-israéliens ». Elle ne prend pas la mesure des différends et des conflits de plus en plus marqués au sein de ces milieux. « Il y a près de 6,5 millions de juifs en Israël, écrit Jonathan Weizman dans le New York Times, et plus ou moins 5,7 millions de juifs en Amérique. Plus ça va, plus leurs visions du monde diffèrent de manière radicale. »

Parmi les mouvements de pression sionistes, figure J Street qui, bien ou mal, peu ou prou, cherche ouvertement, contrairement à l’Aipac, une solution de paix. Il suffit de lire la critique incendiaire qu’en fait David Weinberg, vice-président de l’Institut des études stratégiques à Jérusalem, pour se convaincre du fait que la division interne n’est plus le monopole des Arabes ou des musulmans. « J Street, écrit-il dans le Jerusalem Post, est devenu une organisation qui dépense presque tout son temps et son argent à souiller Israël, diffamer l’Aipac et d’autres organisations américaines juives, stimuler les relations États-Unis-Iran, soutenir des candidats politiques pour lesquels promouvoir la campagne BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) est un titre d’honneur. » Outre son caractère fallacieux, ce propos permet de mesurer le sentiment de panique qui gagne les rangs du lobby auquel Kushner obéit aveuglément. Que ce dernier soit convaincu de l’infériorité des Arabes, qu’il n’ait pas envie de mieux connaître leur culture, leur histoire – son âge d’or et ses interminables pages noires –, c’est son droit, mais dans ces conditions, qu’il revienne à ce qu’il sait faire : qu’il fasse des affaires, qu’il ne fasse pas la paix. Qu’il laisse à d’autres – venus des deux bords et non d’un seul – le soin de trouver un moyen politique, moral et financier de tourner la page.

Signaux de reconnaissance

Il y a fort à parier qu’à terme, la surenchère pro-israélienne de l’administration Trump aura un effet bien plus néfaste pour Israël que celui de ses pires ennemis. Quoi qu’il en soit, le champ de ruines qu’est devenu le Moyen-Orient offre au moins un avantage pour ceux qui ne sont pas dans l’arène : celui de placer désormais la solidarité humaine, si minoritaire soit-elle, au-dessus des autres, les idéologiques et les communautaires, qui ont toutes échoué. Dans cette région sinistrée où chaque pays est une blessure, il n’y a plus de chantier possible qui ne soit d’abord une réflexion sur ce qui ne marche pas. Une envie d’entendre et de faire autrement. Un désir partagé de faire reculer la haine.

En marge de la politique proprement dite, en marge du rouleau compresseur des grandes puissances et de leurs manœuvres d’intimidation, en marge des terrorismes locaux, en marge du calendrier officiel des gouvernements et des médias, en marge du cours impitoyable de l’histoire qui nous fait logiquement penser chaque matin qu’il n’y a plus rien à faire, il reste ce vaste espace invisible au sein duquel la pensée garde tous ses droits, au même titre que, dans une cellule, la vie intérieure d’un prisonnier. Une espèce de territoire hors frontières et hors murs qui voyage d’une tête à l’autre, de Bagdad au Caire, à Amman, Damas, Tel-Aviv, Gaza, Beyrouth et Jérusalem, sans plus s’inquiéter de savoir qui est chiite, qui est sunnite, qui est juif, qui est chrétien, qui est ceci ou cela. Seule la construction de cet espace mental, patiemment fait de signaux de reconnaissance, permettra peut-être un jour aux peuples de la région, israélien et palestinien compris, de n’avoir plus peur de trahir, de faillir, en renonçant à la haine. Hugo disait du passé qu’il est la clé de l’avenir. Dans cette partie du monde, il a tenu lieu de verrou, il a fermé au lieu d’ouvrir. Désormais, il n’est plus de solution possible en dehors de ce grand chantier des mémoires et des imaginaires, dont Kushner et consorts ignorent tout. Un pays, c’est aussi de l’être, il ne suffit pas d’en ravaler la façade pour en sauver la raison d’exister. Et cette âme, cette raison d’exister, l’argent aura beau gouverner le monde, il n’achètera jamais un pouce de ce pays-là.

Par Dominique EDDÉ
Romancière et essayiste. Dernier ouvrage : « Edward Said. Le roman de sa pensée » (La Fabrique, 2017).

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47Soul: heureux d’un printemps arabe

Photo: Victor FrankowskI/Collaboration spéciale

Les membres de 47Soul à l’ombre de la Balfron Tower, tour d’habitation londonienne qui a servi d’inspiration à leur premier album.

 

Un vent de Palestine soufflera sur Montréal dimanche à l’occasion de la visite de 47Soul, groupe engagé et inventeur de son propre style musical, le shamstep.

Sham quoi? «Sham» comme Bilad Al-Sham, région historique et culturelle du monde arabe qui regroupe grosso modo la Palestine, la Jordanie, le Liban et la Syrie.

Décrit par 47Soul comme un sous-genre du dub-step, le shamstep combine des éléments électros, rock et hip-hop à des sonorités arabes plus traditionnelles comme le dabkeh, musique qui accompagne la danse folklorique du même nom.

Les synthétiseurs côtoient donc allègrement le daf, grand tambour sur cadre, et le mijwiz, flûte à double pipe.

Un mélange heureux et très entraînant, qui leur a permis de se faire connaître sur la scène européenne et de participer à plusieurs festivals d’envergure dont Glastonbury, Womad et, dans quelques jours, South by Southwest.

«Nous ne voulons pas nous cantonner seulement à la communauté arabe. Et nous ne voulons pas être placés dans la catégorie “musique du monde”, insiste Tareq Abu Kwaik, alias El Far3i, joint à Londres. Nous voulons apporter la contribution de la jeunesse arabe à la musique mondiale, dans le son et dans la création.»

«Il existe plein de liens entre les rythmes arabes et les rythmes africains et dance. La musique arabe peut participer à la musique pop en général.»

Obstacles
Il s’agira d’un premier spectacle «officiel» pour le groupe dans la métropole. Le quatuor devait s’y produire en 2016, mais seuls deux des membres avaient alors obtenu le visa nécessaire à temps.

Une situation qui rend compte de la difficulté pour les Palestiniens à se déplacer librement, dans le monde arabe comme sur le reste de la planète.

«La culture arabe est présente dans 24 pays et en a influencé beaucoup d’autres. Le son arabe ne devrait pas être limité à un seul pays, une seule région ou aux gens qui viennent de cette communauté.» -Tareq Abu Kwaik, alias El Far3i, membre de 47Soul

Pour faciliter leur carrière musicale, les quatre hommes ont donc décidé de s’installer dans la capitale britannique.

«Nous sommes tous de descendance palestinienne, mais nous provenons d’endroits différents, nous avons des passeports différents, précise Tareq Abu Kwaik. Nous avons choisi Londres parce que c’est un haut lieu de l’industrie musicale et que nous voulions nous rassembler… légalement.»

À l’intérieur du groupe, El Far3i et El Jehaz sont des descendants de réfugiés palestiniens qui ont grandi en Jordanie, Z the People est né au sein d’une famille palestinienne aux États-Unis, alors que Walaa Sbeit possède la nationalité israélienne.

«Ça devient problématique dépendamment de la partie du territoire [palestinien] dont on provient. C’est très difficile de bouger d’un endroit à l’autre. Mais le problème s’applique aussi à plus grande échelle, entre les pays arabes, mais aussi partout dans le monde.»

«Les frontières sont quelque chose de choisi, pas quelque chose de naturel dans cette région.»

Les thèmes du territoire, des divisions et des droits de l’Homme sont d’ailleurs omniprésents dans les paroles, en arabe et en anglais, de 47Soul, dont le nom fait d’ailleurs référence à l’année qui a précédé la création de l’État d’Israël et l’occupation de la Palestine.

«Chaque terre est une terre sacrée, chaque peuple est un peuple élu», répètent-ils sur Every Land, chanson tirée de leur EP Shamstep.

Balfron Promise, leur premier microsillon sorti l’an dernier, fait référence à la Balfron Tower, tour à l’architecture brutaliste de East London où le groupe a résidé et écrit la majorité de l’album

Alors qu’il convertissait cette tour d’habitation populaire en logements de luxe, le propriétaire de l’immeuble a offert des baux temporaires à des artistes londoniens.

Les membres de 47Soul étaient donc aux premières loges pour assister à l’embourgeoisement du quartier et au déplacement des résidants plus pauvres.

Le groupe a aussi joué sur la ressemblance entre Balfron et Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique qui, en 1917, dans une déclaration devenue célèbre, a promis la création d’un foyer national juif en Palestine, un premier pas vers la création d’Israël.

«C’est la proclamation qui a marqué le début de la division de notre terre. Nous voulions souligner les similarités entre l’occupation [israélienne] et la gentrification d’un quartier. Ça peut sembler exagéré, mais c’est ce que c’est. Des gens déplacés», soutient Tareq Abu Kwaik, percussionniste et MC du groupe.

«Bien sûr, il y a une différence entre déplacer des gens de force et en forcer d’autres à partir en montant le coût de leur loyer. Mais c’est le travail de l’artiste de mettre en parallèle les deux situations.»

Portée universelle
Les quatre musiciens ne se considèrent pas pour autant comme un groupe politisé.

«À la fin de la journée, on fait de la musique et on doit choisir des sujets sur lesquels écrire. Autant en choisir qui se rapprochent de notre réalité, affirme El Far3i. C’est notre vie. On ne fait pas ça parce qu’on a un programme à défendre en Europe ou en Amérique du Nord.»

«Je veux que les gens dansent sur notre musique, au son des rythmes arabes et des synthétiseurs. Quant aux sujets de nos chansons, nous tentons de parler de ce qui nous touche, du genre de choses qui nous arrivent. Mais il n’y a pas de buts politiques.»

Le groupe s’est d’ailleurs donné comme objectif d’élargir son public au maximum. Une opération qui repose beaucoup sur ses prestations scéniques endiablées.

«Il n’y a pas de meilleur sentiment que voir des jeunes de 16-17 ans, qui ne sont pas arabes, chanter et danser sur notre musique. La musique est plus grande que nos différences. C’est un bon point de départ pour se rencontrer.»

Retrouver l’article sur le site de METRO  

Le pianiste de Yarmouk – Aeham AHMAD

Un jeune homme joue et chante au milieu des décombres et des maisons éventrées. La photo, prise à Yarmouk, ville de réfugiés palestiniens de la banlieue de Damas, a fait le tour du monde.
Ce musicien est devenu un symbole d’humanité face à la guerre. Après avoir enduré avec dignité les souffrances du conflit syrien, celui que l’on surnomme désormais le « pianiste des ruines » a finalement dû se résoudre à prendre le chemin de l’exil : en guise d’avertissement, Daech avait brûlé son piano… Partageant le sort de milliers d’autres, il a ainsi connu la séparation d’avec sa famille, la périlleuse traversée de la Méditerranée, l’éprouvante route des Balkans, puis l’arrivée en Allemagne.
Dans cette autobiographie bouleversante, Aeham Ahmad raconte son enfance de Palestinien en Syrie, son apprentissage de la musique au sein d’une famille talentueuse, jusqu’à la révolution de 2011, bientôt engloutie par la guerre. Un éclat d’obus le blesse à la main. Bravant la peur, il décide alors de jouer dans la rue, se laissant filmer pour témoigner de la résistance qui subsiste, obstinée, dans la ville assiégée. Car ce livre a une portée politique. Il dénonce la violence extrême, les exactions du régime d’Assad comme celles des djihadistes, mais il rappelle aussi la précarité du peuple syrien et le destin tragique de tous les réfugiés. Un requiem en hommage aux victimes et une ode à la musique.

 

La Découverte

31chf

Le Chanteur de Gaza – un film de Hany Abu-Assad

Un jeune Palestinien prend son destin en main pour réaliser son plus grand rêve : chanter. L’incroyable et véritable histoire de Mohammed Assaf défie l’entendement.

 

Réalisateur : Hany Abu-Assad

Acteurs : Tawfeek Barhom, Kais Attalah, Hiba Atallah

Palestine – 1h38

 

Un royaume d’olives et de cendre – 26 écrivains – 50 ans de territoires occupés

Voyage chez ceux «qui ne sont pas supposés exister»

Article de Luis Lema dans le Temps

Vingt-six écrivains, de Mario Vargas Llosa à Anita Desai, de Maylis de Keyrangal à Colum McCann décrivent ce qu’ils ont vu en Palestine occupée lors de visites organisées par d’anciens soldats israéliens. Un appel à «ne pas renoncer à prêter attention»

Comment dire le quotidien de l’occupation militaire? Que reste-t-il à raconter, 50 ans plus tard, après la fin du bulletin d’informations, après les discours interminables à l’ONU, après les millions de commentaires que continue de susciter le conflit israélo-palestinien? Il reste encore et toujours à mettre en mots l’essentiel. A décrire ce temps dont vous n’êtes plus maître, ce droit de marcher librement qui vous est volé, ces murs qui «déchirent votre existence», cette humanité dont vous êtes dépouillé.

 Ayelet Waldam, de son propre aveu, ne voulait pas s’atteler à cette tâche-là. L’écrivaine juive américano-israélienne, auteure notamment de Mercredi au Parc, transposé à l’écran sous le titre Un Hiver à Central Park (avec Natalie Portman dans le rôle principal), entretenait avec Israël ce compagnonnage naturel et désinvolte qui se résume souvent à s’extasier devant la ferveur cosmopolite de Tel-Aviv. C’était avant qu’une rencontre lui ouvre les yeux. D’anciens militaires israéliens, réunis dans l’organisation Breaking the Silence («Briser le silence»), la convainquent de faire un tour à Hébron, cette ville de Cisjordanie qui exprime jusqu’à la caricature la monstruosité de l’occupation. Une ville coupée en deux, où 40 000 habitants palestiniens sont soumis à la tyrannie de quelques centaines de colons juifs extrémistes, protégés par autant de soldats israéliens. Cette partie de Hébron, appelée H2, est devenue une ville morte, avec les rideaux de fer tirés, le couvre-feu permanent, les humiliations et les angoisses constantes qui pourrissent les vies.

Dessiller les yeux

Les membres de «Briser le silence» sont certains de ceux qui tenaient auparavant les fusils, de ce côté-ci de Hébron, ou ailleurs en Cisjordanie occupée. Leur tour guidé de la ville – qui abrite le Tombeau des Patriarches, un monument sacré aussi bien pour les juifs que pour les musulmans – fait partie aujourd’hui du programme lancé par ces vétérans de l’armée pour tenter de dessiller les yeux de leurs concitoyens.

Le mari de Waldam, Michael Chabon, est lui-même écrivain, récompensé du Prix Pulitzer. Chez eux en Californie, ils se rappellent que l’une des armes de la littérature est celle qui consiste à «pouvoir engager l’attention des gens qui, comme nous, ont depuis longtemps renoncé à prêter attention ou qui ont renoncé tout court». Tous deux ouvrent leur carnet d’adresses: ils vont réunir à leurs côtés 24 autres auteurs «de tous les continents à l’exception de l’Antarctique, de tous âges et de huit langues maternelles différentes».

La réalité en pleine figure

Cap pour tous, séparément ou par petits groupes, sur les Territoires occupés. Hébron, mais aussi les autres villes de Cisjordanie, des villages palestiniens le long de la vallée du Jourdain, le camp de réfugiés de Shuafat, à Jérusalem, ou encore la bande de Gaza.

C’est une palette exceptionnelle d’écrivains, dont la Française Maylis de Kerangal, l’Américain Dave Eggers, l’Irlandais Colum McCann, la Canadienne Madeleine Thien ou encore le Péruvien Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa. Et c’est un peu comme si la plupart avaient été surpris au pied du lit, en recevant cette réalité en pleine figure. «Je n’avais pas pensé à la situation du monde depuis longtemps et ce lieu, entre tous, avait semblé encore plus facile à ignorer», avoue Eimar McBride, l’auteur du phénoménal Une fille est une chose à demi.

Aux Etats-Unis, où la démarche a eu un fort retentissement, certains se sont aussi moqués de ces écrivains en quête de frisson, transportés dans des minibus équipés d’air conditionné et prêts à tomber en Palestine dans tous les pièges qui menacent les journalistes débutants. C’est en partie vrai, mais l’essentiel n’est pas là. D’où qu’ils viennent, les voyageurs voient tous le même mur. Dans ce Proche-Orient où chaque pierre a déjà été retournée dans tous les sens depuis 50 ans, c’est précisément le regard frais qu’apportent les auteurs qui sert en quelque sorte à déconstruire les fondements mêmes du système d’occupation mis en place par les Israéliens. Or les écrivains sont ainsi faits: derrière ce système, ce sont les gens réels, les histoires humaines particulières qu’ils recherchent, dans le but implicite de les rendre universelles.

Coupés du monde

Place donc à des paysans palestiniens coupés du monde, à des universitaires désabusés, à des familles craignant le pire pour leurs proches à chaque heure du jour et de la nuit. «Ces gens ne comprennent-ils pas qu’ils ne sont pas supposés exister? Qu’ils sont des fantômes, sans vie, sans avenir?» s’interroge l’Indienne Anita Desai dans un beau texte où elle oppose deux mondes au long de son parcours, le visible et l’invisible. «Alors pourquoi persistent-ils à vouloir exister? Et à souffrir?»

Même s’il n’est pas le plus poignant, le témoignage de Mario Vargas Llosa a été sans doute le plus douloureux à écrire pour son auteur. Comme il le rappelle lui-même, Vargas Llosa a passé de nombreuses années à défendre Israël, à «affirmer son caractère pluraliste et démocratique» face aux attaques qui venaient aussi bien de gauche que de droite. Mais il revient aujourd’hui consterné d’un «pays colonial qui n’écoute pas, qui ne veut pas négocier ni faire de concessions, qui ne croit qu’en la force».

Comme le précise Ayelet Waldman, tous les écrivains ont accepté de travailler de manière bénévole pour ce recueil. Leurs droits seront reversés à «Briser le silence», mais aussi à une autre ONG, palestinienne celle-là, Youth Against Settlements («la jeunesse contre la colonisation») qui prône la non-violence pour résister aux colons qui se sont emparés de Hébron. Loin de l’image d’un militant palestinien radical, Issa Amro, directeur de cette association, apparaît d’ailleurs dans plusieurs textes de l’ouvrage, comme dans celui de Madeleine Thien où, aux côtés d’activistes israéliens, il s’emploie à nettoyer un vieil entrepôt en espérant y installer le premier cinéma de Hébron. Simple hasard? Entre-temps, la justice militaire israélienne a réactivé de vieilles charges contre lui, l’accusant notamment d’incitation à la violence. Contrairement à la violence, bien réelle, décrite au fil des pages de ce recueil, «l’incitation» à résister coûte cher. Issa Amro risque à présent dix ans de prison.


«Un Royaume d’olives et de cendres: 26 écrivains 50 ans de Territoires occupés», Robert Laffont

Témoins de paix en Palestine – Collectif

Recueil de témoignages de personnes qui ont séjourné en Palestine dans le cadre du Programme d’accompagnement oecuménique en Palestine et Israël (EAPPI), créé suite à la deuxième Intifada (2000). Ces  » accompagnateurs oecuméniques  » sont des personnes âgées de 25 à 70 ans, de toutes nationalités et de tous horizons. Depuis 2002, près de 1600 volontaires de 25 nationalités ont participé à ce programme. Leur mission est d’observer et de rendre compte des atteintes aux Droits de l’Homme et d’offrir une présence protectrice aux personnes vulnérables. Aux côtés de Palestiniens et d’Israéliens, ils oeuvrent à la paix de manière non-violente. La préface est de Dominique Vidal, journaliste et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient.

La Palestine, un défi pour les historiens arabes – Interview de Maher Al-Charif

La Palestine, un défi pour les historiens arabes

Plus que pour d’autres pays, l’écriture de l’histoire de la Palestine est un véritable défi, surtout qu’elle a longtemps été dominée par les Occidentaux et les Israéliens. Pourtant, les recherches des historiens arabes et palestiniens changent la donne. Mais comment écrire « objectivement » l’histoire de son propre pays lorsque celui-ci reste sous occupation ? Questions à Maher Al-Charif qui vient de publier en arabe aux éditions Al-Farabi (Beyrouth) L’histoire de la Palestine vue par les Arabes.

Nada Yafi. Comment expliquez cette importance toute particulière accordée à l’histoire dans l’affrontement en Palestine ? Dans quelle mesure cette histoire de la Palestine vue par les Arabes peut-elle se dégager de la logique de l’affrontement ?

Maher Al-Charif. — La relation entre la Palestine d’une part, l’histoire et son écriture de l’autre est en effet une relation singulière. Ce lien fort s’est noué en réaction au sionisme comme projet politique faisant de l’héritage juif, réel ou mythologique, un instrument pour la création d’une nation et l’instauration d’un État. L’affrontement avec le sionisme aura ainsi, souvent, dicté à l’historien arabe ses thèmes et ses axes d’analyse, de telle sorte que le désastre de 1948, la Nakba et ses conséquences tragiques ont été prédominants par rapport à d’autres épisodes, dans nombre d’écrits et de recherches. L’effort des historiens palestiniens en matière de recherche s’est dès lors concentré sur la nécessité de rédiger un récit contraire au récit sioniste, soulignant la permanence de la présence historique du peuple palestinien sur sa terre, la légitimité de sa lutte, rappelant ses caractéristiques nationales et culturelles. Il s’agissait de réfuter les mythes propagés par les sionistes, parmi lesquels celui de la Palestine comme « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », ou celui d’une histoire très ancienne, « éternelle » du sionisme, ou encore la négation de traits culturels distinctifs des Palestiniens avant l’immigration juive et l’établissement des colonies.

S’il est vrai que la cause palestinienne est appelée à demeurer au cœur de l’écriture historique arabe, et ce jusqu’à la réalisation des aspirations nationales palestiniennes et l’instauration d’une paix juste et durable entre les Arabes et les Israéliens, cela ne veut pas dire pour autant que l’écriture arabe de l’histoire s’arrête à une seule époque ou qu’elle tourne en rond. La prééminence de la problématique de la Nakba n’a pas empêché l’émergence d’une nouvelle approche arabe de l’histoire, perceptible depuis quelques années déjà, et qui tente de renouveler ses méthodes, diversifier ses sources, élargir ses centres d’intérêt. Elle consiste par exemple à passer de la macro-histoire à la micro-histoire, à déplacer l’accent, de « la cause palestinienne » vers ses ayant-droit, autrement dit à mettre les Palestiniens au centre du récit, là où ils sont établis, que ce soit sur leur terre ou dans la diaspora. Elle consiste à noter les menus faits de leur vie, à consigner les massacres qu’ils ont subis, à relater l’expérience de tel ou tel camp de réfugiés, en Palestine ou dans les pays d’accueil, à retracer la vie des villes palestiniennes sous l’empire ottoman, dans sa dernière période, ou sous mandat britannique, ou encore celle de leurs villages, notamment ceux qui ont été détruits.

N. Y.Cette émergence d’une nouvelle écriture arabe de l’ histoire de la Palestine a-t-elle été influencée par le phénomène des « nouveaux historiens » apparu en Israël ?

M. C.— Le courant des nouveaux historiens israéliens a sans aucun doute représenté une sorte de défi pour l’historiographie arabe de la Palestine, mais je ne pense pas qu’il ait eu une influence directe. Il s’agit en tout cas d’un phénomène important en ce qu’il a réfuté de nombreux mythes fondateurs sur lesquels reposait le récit historique israélien officiel. J’observe toutefois que la plupart de ces « nouveaux » historiens — à part peut-être Ilan Pappé et Avi Schlaïm — n’ont pas été jusqu’à tirer les conclusions qui s’imposaient de leurs découvertes, à savoir la reconnaissance d’une responsabilité politique et éthique de l’État d’Israël dans la tragédie du peuple palestinien. Certains sont même revenus sur leurs positions, comme Benny Morris qui, après la deuxième intifada palestinienne en 2000 a renié les conclusions auxquelles il était parvenu dans son livre La naissance du problème des réfugiés palestiniens 1947-1949 et s’est mis à rejeter sur les Arabes la responsabilité de l’exode forcé des Palestiniens et l’échec du processus de paix.

N. Y.Certains ont pourtant vu dans ce phénomène des nouveaux historiens israéliens la possibilité que le récit historique des vaincus prenne le pas sur celui des vainqueurs. N’est-ce pas votre avis ?

M. C.— C’est un fait que certains écrits israéliens ont accrédité, dans ses grandes lignes, le récit des historiens arabes, notamment quant aux rôles respectifs de la victime et de l’agresseur. L’historien palestinien Tarif Al-Khalidi relevait à juste titre que nous avions obligé les historiens israéliens à réécrire cette période de l’histoire moderne de la Palestine (la création d’Israël et l’exode forcé des Palestiniens), sans avoir cependant réussi, jusqu’à présent, à les amener à affronter les conséquences morales de cette reconnaissance. Je songe aux enseignements que tirait Reinhart Koselleck, dans son livre L’expérience de l’histoire. À savoir que l’histoire « est écrite par les vainqueurs sur le court terme, qu’ils peuvent la maintenir sur le moyen terme, mais qu’ils ne sauraient la dominer sur le long terme ». Sur le temps long « les gains historiques de la connaissance proviennent des vaincus, et si les écrits de ceux-ci ne sont pas toujours les plus riches, la condition de vaincu implique une capacité inépuisable à enrichir la connaissance ».

N. Y.Dans l’introduction de votre livre, vous soulignez tout particulièrement l’importance de l’accès aux sources pour les historiens palestiniens ou arabes. N’est-ce pas le cas pour tous les historiens ?

M. C.— Je pense que le problème est particulièrement aigu s’agissant de l’histoire moderne de la Palestine. La plus grande partie des sources ont en effet été perdues ou pillées par des organisations sionistes lors de la guerre de 1948 et du tragique exode palestinien qui l’a suivie, puis lors de l’invasion israélienne du Liban en 1982 : l’armée a investi le centre de recherches palestinien de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et emporté toutes ses archives. Par ailleurs le chercheur qui s’intéresse à la période moderne de l’histoire palestinienne a difficilement accès aux archives des pays arabes qui ont pu être impliqués dans la question palestinienne. S’il arrive à dépasser l’obstacle politique — le plus dur —, il s’apercevra que ces pays détiennent rarement de véritables centres d’archives, sans compter l’absence de législation sur les conditions de consultation. Il faut reconnaître cependant que de nombreux chercheurs ont pu bénéficier, au cours des dernières décennies, de documents provenant des archives britanniques, de certaines organisations internationales, comme l’ONU ou la Croix-Rouge. Certains ont même réussi à avoir accès aux archives israéliennes. L’intérêt de recueillir des témoignages vivants s’est également accru ces dernières années.

N. Y.Dans cette période moderne s’est forgée la conscience nationale palestinienne. Sur quoi s’est-elle surtout appuyée selon vous ?

M. C.—Au départ, les Palestiniens faisaient partie de la communauté plus large des Arabes, dans la région désignée sous le nom de Bilad As-Sham, c’est-à-dire la Grande Syrie ; c’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle que leur conscience nationale s’est forgée, en partie sous l’influence des idées nationalistes européennes propagées dans les provinces arabes sous domination ottomane, par la traduction des grands textes, les écoles des missions religieuses ou les étudiants arabes de retour d’Europe. C’est donc le nationalisme arabe qui a d’abord exprimé cette conscience nationale, notamment après l’arrivée au pouvoir à Istanbul en 1908 du comité Union et progrès qui a entrepris une politique de « turquisation » forcée des peuples et nations de l’empire. Des cercles littéraires ont d’abord appelé à la renaissance du patrimoine culturel de la langue arabe. Ils ont pris progressivement une tournure plus politique, avec la revendication d’un gouvernement décentralisé pour les provinces arabes de l’empire, et une autonomie culturelle. Les Palestiniens ont été actifs dans la création de ces associations, qu’ils ont parfois dirigées. Cette conscience panarabe est devenue plus particulièrement « nationale » au sens palestinien du terme avec la montée de l’inquiétude face aux risques représentés par l’immigration et les implantations juives, surtout après la deuxième vague d’immigration juive en Palestine, consécutive à la montée de l’antisémitisme en Russie après l’échec de la révolution de 1905. Contrairement à la première, cette deuxième vague d’immigration juive a été marquée par un racisme anti-arabe et un ostracisme des paysans et ouvriers palestiniens, expulsés des colonies juives par les organisations sionistes, qui pratiquaient un boycott des produits agricoles locaux, avec des slogans tels que « occupons les terres », « occupons le travail ».

Des intellectuels palestiniens qui avaient fréquenté des universités européennes, comme Youssef et Rouhi Al-Khalid, Mohammed Al-Mahmassani, avaient pu de leur côté prendre connaissance de certains textes et activités sionistes. La presse arabe palestinienne a elle-même joué un rôle important, à partir de 1908, dans cette lutte contre le projet sioniste, avec des journaux comme Al-Karmel et Palestine. Des associations antisionistes ont alors essaimé dans plusieurs des villes arabes sous domination ottomane.

Pour autant, ces craintes du danger sioniste n’ont pas dissocié le mouvement palestinien de l’ensemble du mouvement nationaliste arabe qui avait fait de Damas sa capitale, et qui incarnait les aspirations panarabes à la liberté et l’unité du Levant au sein d’un même État. La conférence tenue par les associations islamo-chrétiennes à Jérusalem début février 1919, considérée par la suite comme le premier congrès arabe palestinien avait souligné que la Palestine faisait partie de la Grande Syrie arabe, dont elle n’avait jamais été séparée. L’accent a été mis sur les « liens ethniques, religieux, linguistiques, naturels, économiques, géographiques » entre tous les habitants de la région. Le Congrès général de Syrie tenu ensuite à Damas début juin 1919 avec la participation de représentants palestiniens avait conforté ce choix unitaire, en insistant sur la nécessité de ne pas détacher de la Grande Syrie sa partie méridionale connue sous le nom de Palestine, ni le littoral comprenant le Liban. Le Congrès avait appelé à la reconnaissance de l’indépendance syrienne et de son unité, à l’abrogation de l’accord Sykes-Picot et de la promesse Balfour. Le 7 mars 1920, les représentants du Congrès syrien ont déclaré l’indépendance de la Syrie dans ses frontières naturelles et rejeté les prétentions sionistes à un foyer national juif en Palestine.

Fayçal Ben Hussein a été désigné roi de Syrie. Ce mouvement nationaliste arabe devait être brisé dans son élan par deux événements : la conférence de San Remo, tenue par les Alliés en avril 1920, qui décidait de placer la Syrie et le Liban sous mandat français et la Palestine et l’Irak sous mandat britannique. Suivie de l’entrée des troupes françaises le 25 juillet à Damas après la défaite arabe de Mayssaloun, et le renversement du gouvernement du roi Fayçal. C’est dans ce climat de partition imposée au Levant arabe que s’est tenu le troisième congrès palestinien, à Haïfa, en décembre 1920, appelant à la constitution d’un gouvernement national en Palestine.

N. Y.Vous avez souligné les liens entre le mouvement nationaliste palestinien et le mouvement nationaliste panarabe dans son ensemble. Après la Nakba, la dimension nationaliste arabe a prévalu sur la question palestinienne. Celle-ci a été considérée comme « la cause centrale des Arabes ». A-t-elle perdu aujourd’hui cette centralité dans la conscience arabe ?

M. C.— Il faut reconnaître que cette primauté de la cause palestinienne a régressé de manière palpable durant les dernières décennies, au moment même où la question palestinienne marque des points à l’échelle internationale. L’opinion publique lui reconnaît la légitimité d’une cause juste, au même titre que la question du Vietnam dans les années 1960 ou celle de l’Afrique du Sud dans les années 1970/1980.

La conscience arabe d’une cause centrale reste liée à la période prospère du nationalisme panarabe, dans les années 1950 et au début des années 1960, alors qu’on observe aujourd’hui un net recul de la conscience nationale de manière générale, au profit des identités partielles, religieuses et confessionnelles. Depuis les années 1990, le nombre croissant de tragédies arabes touchant tous les aspects de la vie a fini par retirer au désastre palestinien son caractère unique, les pays arabes étant aux prises avec leurs propres problèmes et crises internes. La question palestinienne était de ce fait absente des mouvements populaires arabes qui se sont développés à partir de la fin 2010. On peut dire qu’il n’y a plus aujourd’hui d’unanimité arabe sur le fait qu’Israël représente, par sa politique d’occupation, le danger majeur pour la sécurité nationale arabe. On observe même pour certains régimes arabes une tendance générale, parfois ouverte, à considérer Israël comme un allié contre d’autres menaces, réelles ou fantasmées.

Reconnaître cette réalité n’exclut pas la persistance des sentiments de solidarité avec la lutte palestinienne chez les peuples arabes, comme on a pu le constater à l’occasion des diverses manifestations de soutien à la première intifada en 1987 comme à la deuxième, en 2000.

N. Y. Vous vous interrogez sur le moment historique auquel la Palestine est entrée dans la modernité. Vous renvoyez dos à dos les tenants de thèses contradictoires.

M. C.— Oui. Certains ont pu laisser entendre que c’étaient les canons de Napoléon Bonaparte qui avaient « réveillé » les Arabes d’un sommeil profond en 1798. D’autres, ces dernières années, ont voulu mettre davantage l’accent sur tout ce qui a précédé l’expédition d’Égypte, considérant la pénétration européenne comme un facteur inhibant pour les premiers frémissements de progrès apparus dans les sociétés arabes du XVIIIe siècle, annonciateurs d’une véritable renaissance économique et sociale autonome. Entre ces deux thèses opposées, d’autres ont situé ce moment au lendemain de l’occupation égyptienne de la Palestine (1831-1840).

Je retiens pour ma part la thèse selon laquelle l’infiltration croissante des capitaux européens, conjuguée à la matérialisation des tanzimat, à savoir les réformes ottomanes, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, a été le déclencheur d’une dynamique nouvelle, avec des modes de fonctionnement social jusqu’alors inconnus. D’une part, il me semble absurde de dire que les provinces arabes étaient plongées dans une totale léthargie sous la domination ottomane. Il paraît tout aussi aberrant de supposer que le progrès suive un parcours linéaire, univoque. On peut voir coexister, à certains moments, tradition et modernité. Les sociétés qui ont connu la colonisation européenne au XIXe siècle ont traversé une longue période de transition, parfois même inachevée à ce jour. Enfin, imaginer qu’une renaissance économique et sociale arabe totalement autonome aurait pu émerger, dès le XVIIIe siècle, c’est rêver d’une authenticité fantasmée.

N. Y.J’en viens à un point très important de cette période. Celui des implantations juives en Palestine, et de l’attitude des autorités ottomanes à l’égard de l’immigration juive, dont on dit souvent qu’elle a été particulièrement sévère. Pourriez-vous éclairer ce point ?

M. C.— Jusqu’au XIXe siècle, la minorité juive en Palestine est restée marginale, à la fois en termes d’effectifs et d’influence. C’est à partir du XIXe siècle qu’elle a commencé à s’accroître avec l’immigration. Selon certaines sources, elle aurait atteint, à la veille de la première guerre mondiale, le chiffre de 85 000 âmes, autrement dit 12 % de la population totale estimée à 700 000 habitants. Quant aux implantations, elles étaient au nombre de 48. Le sultan Abdul Hamid II craignait que cette immigration ne finisse par créer une « question juive » alors qu’il était déjà en butte au problème arménien. Il a voulu mettre un frein à l’immigration juive et à l’achat de terres en Palestine. Le mouvement sioniste a le plus souvent réussi à contourner ces entraves, notamment par la corruption des fonctionnaires ottomans, et par l’exploitation des capitulations, privilèges accordés par la Sublime porte aux États européens, dont les juifs étaient eux-mêmes ressortissants. En exerçant sur le pouvoir ottoman de très fortes pressions, les États en question obtinrent en 1888 le droit pour les juifs européens de s’établir en Palestine à titre individuel, et d’y acheter des terres. Après la révolution des partisans du comité Union et progrès en 1908, une nouvelle époque s’ouvrait devant l’immigration juive. De nombreux gouverneurs turcs des localités palestiniennes ont alors fait preuve d’une grande mansuétude à l’égard des immigrants, qui pouvaient désormais exercer librement leurs activités. Par attrait pour l’argent, ces gouverneurs ont considérablement assoupli l’application de la loi.

Lorsque la première guerre mondiale a éclaté, les Ottomans ont décidé d’en finir avec le système des capitulations. Les juifs européens vivant dans l’empire se trouvaient dès lors régis par la législation ottomane. En novembre 1914, le gouvernement ottoman décide de leur octroyer la nationalité ottomane. Dans la foulée, le 17 décembre 1914, il décrète le départ de tous ceux qui avaient voulu garder leur nationalité européenne. Des pressions sont exercées sur eux dans ce sens. Pressions neutralisées ou allégées par l’intervention des ambassades d’Allemagne et des États-Unis et les efforts du représentant sioniste à Istanbul. Le mouvement sioniste a alors orchestré une campagne de propagande qui prétendait dénoncer des « actes de violence » dirigés contre les juifs, en exploitant une décision ottomane de déplacer tous les habitants du littoral palestinien, pour des raisons liées à la guerre, après l’attaque britannique de 1917.

Tout le long de la guerre, les juifs de Palestine ont continué, cependant, de recevoir des dons en argent et en nature de la part des pays européens et des États-Unis. Ils ont continué à organiser leur propre défense, à consolider leur système d’éducation, à faire la promotion de l’hébreu. Ils ont poursuivi l’implantation des colonies.

N. Y.Dans quelle mesure l’historien peut-il être objectif, à votre avis, dans son approche d’une « vérité historique » ?

M. C.— C’est une question complexe, qui mériterait toute une étude ! L’historien cherche à reconstituer le passé, à l’appréhender à travers les sources. Mais cette prise de connaissance présente nécessairement quelques lacunes, qui sont celles des sources elles-mêmes. Sans compter que l’écriture historique, comme toute écriture, reste marquée par la subjectivité, ne serait-ce que par le choix de l’objet d’étude et des sources à consulter. Cette part inévitable de subjectivité a pu susciter chez certains un scepticisme quant à la possibilité de parvenir à une vérité historique objective. Je pense que celle-ci reste possible, pour peu que le chercheur s’alimente à des sources dont la fiabilité est reconnue, même si l’appréhension de la vérité peut rester partielle, en quelque sorte inachevée.

Pour ce qui me concerne, c’est le présent et ses problématiques qui me poussent à vouloir reconstituer le passé. La spécificité de ma condition de Palestinien fait que je tente nécessairement de comprendre mon temps tout en affirmant mon identité, en tant que membre d’une communauté nationale. Je l’ai dit en réponse à une autre de vos questions : la condition de Palestinien est celle d’une oppression nationale, d’une lutte pour la libération. Celles-ci continueront de marquer de leur empreinte toute production intellectuelle, jusqu’à ce que nous parvenions à ce que j’appelle une justice possible, qui seule pourra mener à une réconciliation historique entre deux peuples antagonistes.

Palestinian Political Disintegration, Culture, and National Identity – Jamil Hilal

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The Palestinian political field, dominated by the Palestine Liberation Organization (PLO) since the late 1960s, has been in a state of disintegration since the Palestinian Authority (PA) was established under the Oslo Accords. What has been the impact of PLO dominance and what were the repercussions of its disintegration for the Palestinian body politic? And to what extent has the disintegration of the political field affected the cultural field and its contribution to Palestinian national identity? These are the questions addressed in this commentary. 1

PLO dominance of Palestinian political field began after the battle of Al-Karameh in 1968, which enabled it to establish a centralized relationship with the Palestinian communities in historic Palestine, Jordan, Syria, Lebanon, the Gulf, Europe and the Americas. These communities largely accepted the PLO as their sole legitimate representative despite the external influences upon it, including its heavy reliance on foreign aid, the ups and downs of its relationship with the country of residence, and its regional and international relations. As a result, the unique conditions and features of each community were neglected, as were their national, social and organizational responsibilities.

From its position of dominance, the PLO was also able to consolidate the practice of elite politics, which was common in the Arab world and internationally but which should not have taken hold amongst the Palestinian people given their dispersal and their struggle for liberation. The fact that the PLO emerged and functioned in a regional and international environment unfriendly to democracy both in theory and practice contributed to this development. The Arab region was dominated by regimes with totalitarian nationalistic ideologies, as well as authoritarian theocratic monarchies and emirates; democracy was seen as an alien and colonialist Western concept. Similarly, the PLO and its factions formed alliances with socialist countries and the countries of the Third World, few of which enjoyed political democracy. The rentier nature of PLO institutions and factions and their reliance on aid and support from non-democratic Arab and socialist countries reinforced the elitist and non-democratic approach to politics.

A third feature of PLO hegemony was that its factions underwent formal militarization at an early stage partly due to the PLO’s armed confrontations with host Arab regimes and partly to the fact that it was constantly targeted by Israel. This formal militarization, as opposed to guerrilla warfare, helped to justify the extremely centralized relationship between the political leadership and its constituency.

Between the 1970s and the 1990s, PLO factions and institutions suffered many severe shocks as a result of changes in the regional and international situation. These included the expulsion from Jordan following the armed clashes in 1970-71; the civil war that erupted in Lebanon in 1975, Israel’s invasion in 1982, the PLO exodus from the country and the Sabra and Shatila massacres; and the war against the Palestinian camps in Lebanon in 1985-86. The First Intifada (popular uprising) against Israel in the West Bank and Gaza Strip at the end of 1987 was also the period in which political Islam first invaded the Palestinian political field (1988). The collapse of the Soviet Union in late 1989, the first Gulf War in 1990-91 and the subsequent financial and political isolation of the PLO greatly eroded its alliances and its sources of revenue.

The Repercussions of Disintegration

During the First Intifada, the Palestinian political elite failed to understand the importance of restructuring the Palestinian national movement as well as of rebuilding the relationship between the centralized leadership and various Palestinian communities. Furthermore, the PLO failed to find a way to deal with political Islam when it emerged onto the Palestinian scene as an extension of the Muslim Brotherhood and did not integrate Hamas into the national political body. At the same time, Hamas failed to redefine itself as a national movement. The Palestinian political movement, which had previously been defined as a national movement or as a revolution began to be referred to as “the national and Islamic movement”.

Indeed, the First Intifada drove the political leadership to further centralize decision-making: It signed the Oslo Accords without consulting the political and social forces within and outside Palestine. Oslo provided the PLO with the political, organizational and ideological rationalization to marginalize those representative Palestinian national institutions that did exist, using the argument that it was building the nucleus of a Palestinian state. The PA was excluded from dealing with Palestinians in Israel, and it lost interest in the Palestinians in Jordan early on. Its dealings with them as well as with Palestinians in Lebanon, Syria, the Gulf countries, Europe and America were largely reduced to bureaucratic formalities through its embassies and representative offices in these countries.

When the establishment of the PA as a limited self-governing authority on parts of the West Bank and Gaza Strip failed to lead to a Palestinian state, the political elites were deprived of a potential sovereign state-based center; this accelerated the disintegration of the national movement. Hamas’ 2006 win in the legislative elections and total control over the Gaza Strip in 2007 contributed to the split of the self-governing authority into two authorities, one remaining in part of the West Bank and the other in the Gaza Strip. Both “authorities” remained under the occupation and control of a settler colonial state that continues to aggressively colonize land and displace Palestinians on both sides of the Green Line.

The disintegration of the national political field has had several repercussions. The representative national institutions faded away and local political elites became dominant. The leaders drew their « legitimacy » from their past party or organizational positions and their diplomatic interaction with regional countries and international institutions. The prevailing discourse locally and internationally reduced Palestine to the territories occupied in 1967 and the Palestinian people to those living under Israeli occupation, thus marginalizing the refugees and exiles as well as the Palestinian citizens of Israel. The security apparatus in the West Bank and the Gaza Strip grew considerably in size and allocation in the general budget. The rentier nature of the authorities in the two areas was entrenched through reliance on foreign aid and remittances, and the influence of private capital in their economies increased.

There were also significant structural shifts in the social structure of the West Bank and Gaza Strip. These included the emergence of a relatively large middle class to staff the PA institutions and agencies in areas such as in the education, health, security, finance and administration, as well as the new service and banking sectors and the many NGOs that were established. Meanwhile, the working class shrank in size. The inequalities between different segments grew and unemployment rates remained high, particularly among youth and new graduates. The « office holder » mentality took hold, replacing the mindset of the freedom fighter. Although Fatah and Hamas define themselves as liberation movements, they have been transformed into hierarchal bureaucratic structures and are focused largely on their own survival.

The political and economic elites have not been shy about flaunting their privileges and wealth despite the ongoing repressive colonial occupation. The middle class in the West Bank and Gaza Strip knows very well that its standard of living and way of life is linked to the existence of both self-governing authorities. Nevertheless, most of the population remains subject to the oppression and humiliation of Israel’s military forces and armed settlers, and suffers not only from the lack of a decent living and professional future but also the absence of any national solution on the horizon. Israel and Egypt’s draconian siege against Gaza remains as tight as ever, punctuated by destructive Israeli wars, and the ethnic cleansing of Palestinians from Jerusalem continues inexorably, using evictions, withdrawal of permits, and a range of other tactics -.

These conditions set the stage for an explosive situation in the territories occupied in 1967. However, since the PLO, the political parties, the private sector and most civil society organizations did not or could not mobilize against occupation, the confrontations with Israel’s military occupation forces and settlers in the “wave of anger” underway since October 2015 have for the most part remained individual and localized in nature and lacking a unified vision and national leadership.

The disintegration of the Palestinian political field has also led to increasing oppression and discrimination against Palestinian communities elsewhere in historic Palestine as well as in the Diaspora. The Palestinian citizens in the part of Palestine that became Israel in 1948 face a growing raft of discriminatory laws. Palestinian refugees in and from Syria, Lebanon, Jordan and elsewhere also face discrimination and abuse. Overall, the status of the Palestinian cause has experienced a setback in the Arab world and internationally, a situation exacerbated by the internal and external wars in some Arab countries.

Yet Culture Thrives, and Nurtures National Identity

Today, the Palestinian people have neither a sovereign state nor a functioning national liberation movement. Nevertheless, there is considerable strength in the Palestinian national identity due in large part to the role of the cultural field in maintaining and enriching the Palestinian narrative. The role of culture in nurturing Palestinian identity and patriotism is a longstanding one. After the creation of the Israeli state in 1948 and the defeat of the then political elites and the national movement, the Palestinian minority in Israel sustained the national identity through a remarkable flourishing of culture – poetry, fiction, music and films.

The Palestinian writer and journalist Ghassan Kanafani captured this in his remarkable book on Palestinian resistance literature (al-adab al-mukawim fi filistin al-muhtala 1948-1966) published in Beirut in 1968. Other key literary figures included the poets Mahmoud Darwish and Samih Al Qasim, Nazareth mayor and poet Tawfik Zayyad, and the writer Emile Habibi, both in his own works, such as The Pessoptimist, as well as through the communist paper he co-founded, Al-Ittihad. In the 1950s and 1960s, when the Israelis kept the Palestinian citizens under military rule, literature, culture and art served to reinforce and protect Arab culture and identity and the Palestinian national narrative. These works were read throughout the Arab world and beyond, and enabled Palestinian refugees and exiles to sustain their identity through the continuous links with the culture and identity of their homeland.

The “1948 Palestinians”, as they are often referred to in Palestinian discourse, also played a role in introducing other Palestinians and Arabs to the way in which Zionist ideology shapes Israeli policy and mechanisms of repressive control. Many of the 1948 Palestinian scholars and intellectuals joined Palestinian and Arab research centers in Beirut, Damascus and elsewhere and helped evolve this understanding.

Since then, the cultural field has, especially at times of political crisis, offered more possibilities than the political sphere for Palestinians to come together in activities that transcend geopolitical boundaries in cultural forms and genres and all sorts of intellectual production. Literature, film music, and art continues to be produced – indeed is on the rise – ranging from world renown writers, directors and artists to the young artists and writers of today in Gaza and the West Bank and among Palestinians elsewhere. All of this is communicated in a myriad ways, including through social media, fostering and cementing intra-Palestinian and Arab ties and interactions across borders.

The vitality of Palestinian patriotism is grounded in the Palestinian historical narrative and draws on the daily experiences of the communities that face dispossession, occupation, discrimination, expulsion and war. It is this vitality that perhaps drives Palestinian youth, largely born after the 1993 Oslo Accords, to confront Israeli soldiers and colonial settlers in all parts of historic Palestine. It also explains the large crowds that take part in the funeral processions of young Palestinians killed by Israeli soldiers and settlers and in fundraising efforts to rebuild the houses demolished by Israeli bulldozers as collective punishment of the families of those killed in the current youth uprising.

However, highlighting the significance and vitality of the cultural field does not compensate for the absence of an effective political movement built on solid democratic foundations. We need to learn from and transcend the shortcomings of the movement’s original institutions rather than wasting effort, time and resources to restore a disintegrated and defunct political field. We also need to move beyond those concepts and practices that experience shows us have failed, such as the very high degree of centralization: Politics must be the concern of the people and of the rank and file.

We must also safeguard our national culture from concepts and approaches that enslave the mind, paralyze thinking and free will, promote intolerance, sanctify ignorance, and cherish myths. Rather, we should promote the values of freedom, justice and equality.

We need a completely new understanding of political action. Such an understanding can be glimpsed in the language taking shape amongst youth groups and in the relationship between Palestinian political forces within the Green Line. It reflects a deepening awareness of the impossibility of coexisting with Zionism as a racist ideology and a settler colonial regime that criminalizes the Palestinian historical narrative.

At the heart of this emerging political awareness lies the need to engage Palestinian communities in the process of discussing, drafting and adopting national inclusive policies: This is both their right and duty. It is equally important to recognize each community’s right to determine its strategy in tackling the specific issues it faces while participating in the self-determination of the entire Palestinian people.

Building a new political movement will not be easy because of growing factional interests and the fear of democratic values and practice. Therefore it is necessary to encourage community-based initiatives to form local leaderships, with the widest participation possible from community individuals and institutions, following the promising example of the 1948 Palestinians in organizing the High Follow-Up Committee for Arab Citizens of Israel to defend their rights and interests, and the West Bank and Gaza Palestinians in the First Intifada. The Boycott, Divestment and Sanctions Movement (BDS) is also a successful example of this new type of political awareness and organizing. It brings together diverse political factions, civil society organizations, and unions behind a unified vision and strategy.

Some may view this discussion as utopian or idealistic, but we are in dire need of idealism amidst the current chaos and destructive factionalism. And we have a rich history of political activism and cultural creativity upon which to draw.

 Notes:
  1. This commentary draws on a research paper I presented at the conference organized by the Institute for Palestine Studies and Mada al-Carmel Centre, November 7-9, 2015 at Birzeit University and in Nazareth.

Jamil Hilal

Al-Shabaka Policy Advisor Jamil Hilal is an independent Palestinian sociologist and writer, and has published many books and numerous articles on Palestinian society, the Arab-Israeli Conflict, and Middle East issues.  Hilal has held, and holds, associate senior research fellowship at a number of Palestinian research institutions.  His recent publications include works on poverty, Palestinian political parties, and the political system after Oslo.  He edited Where Now for Palestine: The Demise of the Two-State Solution (Z Books, 2007), and with Ilan Pappe edited Across the Wall (I.B. Tauris, 2010).

Désintégration politique palestinienne, culture et identité nationale

Désintégration politique palestinienne, culture et identité nationale

Par Jamil Hilal

Jamil Hilal, conseiller politique à Al-Shabaka, est un sociologue et écrivain indépendant palestinien. Il a publié beaucoup de livres et de nombreux articles sur la société palestinienne, le conflit arabo-israélien et des questions sur le Moyen-Orient. Il a occupé et occupe un poste de associé de recherche principal dans plusieurs institutions de recherche palestiniennes. Les publications récentes sur ses travaux traitent de la pauvreté, des partis politiques palestiniens et du système politique après Oslo. Il a publié « Where Now for Palestine: The Demise of the Two-State Solution (Z Books, 2007) [Où va maintenant la Palestine : la disparition de la solution de Deux-Etats] et, avec Ilan Pappe, « Across the Wall (I.B. Tauris, 2010) [De l’autre côté du mur].

15 mars 2016 – La scène politique palestinienne, dominée par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) depuis la fin des années 1960, est en pleine désintégration depuis que l’Autorité palestinienne (AP) a été établie en vertu des Accords d’Oslo. Quel fut l’impact de la suprématie de l’OLP et quelles furent les répercussions de sa désintégration pour le corps politique palestinien ? Et dans quelle mesure la désintégration du champ politique a-t-elle affecté le champ culturel et sa contribution à l’identité nationale palestinienne ? Telles sont les questions abordées dans cette analyse (1).

5 keffieh khalil

Dans les rues d’al-Khalil/Hébron, octobre 2015

 

 

 

 

 

 

 
L’hégémonie de l’OLP sur le champ politique palestinien a commencé après la bataille de Al-Karameh en 1968, qui lui a permis de nouer une relation centralisée avec les communautés palestiniennes en Palestine historique, en Jordanie, en Syrie, au Liban, dans les pays du Golfe, en Europe et dans les Amériques. Ces communautés ont globalement accepté l’OLP comme leur unique représentation légitime malgré les influences extérieures qui pesaient sur elle, y compris sa forte dépendance à l’aide étrangère, les hauts et les bas de sa relation avec le pays d’accueil et ses relations régionales et internationales. En conséquence, la situation et les caractéristiques uniques de chaque communauté furent négligées, comme leurs responsabilités nationales, sociales et organisationnelles.

De sa position dominante, l’OLP a également été en mesure de consolider la pratique d’une politique de l’élite, commune dans le monde arabe et dans le monde, mais qui n’aurait pas dû s’implanter dans la population palestinienne compte tenu de sa dispersion et de sa lutte de libération. Le fait que l’OLP ait émergé et fonctionné dans un environnement régional et international hostile à la démocratie, tant en théorie qu’en pratique, a contribué à ce développement. La région arabe a été dominée par des régimes aux idéologies nationalistes totalitaires, ainsi que des monarchies et des émirats théocratiques autoritaires ; la démocratie était considérée comme un concept occidental étranger et colonialiste. De même, l’OLP et ses factions ont formé des alliances avec des pays socialistes et des pays du Tiers Monde, dont peu jouissait de démocratie politique. La nature rentière des institutions et des factions de l’OLP et leur dépendance à l’aide et au soutien de pays arabes et socialistes non-démocratiques ont renforcé l’approche politique élitiste et non démocratique.

Une troisième caractéristique de l’hégémonie de l’OLP est que ses factions ont subi une militarisation formelle à un stade précoce, en partie à cause de ses affrontements armés avec des régimes arabes d’accueil, et en partie parce qu’elle était constamment ciblée par Israël. Cette militarisation officielle, par opposition à la guerre de guérilla, a contribué à justifier une relation extrêmement centralisée entre la direction politique et son électorat.

Entre les années 1970 et 1990, les factions et les institutions de l’OLP ont subi de nombreux chocs importants à la suite de modifications de la situation régionale et internationale. Parmi elles l’expulsion de Jordanie après les affrontements armés en 1970-1971 ; la guerre civile qui a éclaté au Liban en 1975, l’invasion israélienne en 1982, l’exode de l’OLP du pays et les massacres de Sabra et Chatila, et la guerre contre les camps palestiniens au Liban en 1985-86. La Première Intifada (soulèvement populaire) contre Israël en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza à la fin de 1987 fut aussi la période où l’islam politique a commencé à envahir la scène politique palestinienne (1988). L’effondrement de l’Union soviétique à la fin de 1989, la première Guerre du Golfe en 1990-91 et l’isolement financier et politique ultérieur de l’OLP ont fortement érodé ses alliances et ses sources de revenus.

Les répercussions de la désintégration

Pendant la Première Intifada, l’élite politique palestinienne n’a pas compris l’importance de la restructuration du mouvement national palestinien et de la reconstruction de relations entre la direction centralisée et les différentes communautés palestiniennes. En outre, l’OLP n’a pas su trouver la manière de traiter avec l’islam politique quand il est apparu sur la scène palestinienne comme une extension des Frères Musulmans, et elle n’a pas intégré le Hamas dans les organes politiques nationaux. Dans le même temps, le Hamas n’a pas réussi à se redéfinir comme un mouvement national. Le mouvement politique palestinien, qui avait auparavant été défini comme un mouvement national ou comme une révolution, a commencé à être appelé « mouvement national et islamique ».

En effet, la Première Intifada a conduit la direction politique à centraliser davantage la prise de décision : elle a signé les Accords d’Oslo sans consulter les forces politiques et sociales à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine. Oslo a fourni à l’OLP la rationalisation politique, organisationnelle et idéologique pour marginaliser les institutions nationales palestiniennes représentatives existantes, en utilisant l’argument qu’elle construisait le noyau d’un Etat palestinien. L’AP a été exclue de toute gestion des Palestiniens en Israël, et dès le début, elle s’est désintéressée des Palestiniens en Jordanie. Ses relations avec eux ainsi qu’avec les Palestiniens au Liban, en Syrie, dans les pays du Golfe, en Europe et en Amérique ont été largement réduites à des formalités bureaucratiques par ses ambassades et ses bureaux de représentations dans ces pays.

L’établissement de l’AP en tant qu’autorité à l’autonomie limitée sur des parties de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza n’ayant pas réussi à conduire à un Etat palestinien, les élites politiques furent privées d’un centre potentiel basé sur un Etat souverain, ce qui a accéléré la désintégration du mouvement national. La victoire du Hamas aux élections législatives en 2006 et le contrôle total sur la Bande de Gaza en 2007 ont contribué à la scission de l’autorité autonome en deux autorités, l’une restant sur des morceaux de la Cisjordanie et l’autre dans la Bande de Gaza. Les deux « autorités » sont restées sous occupation et contrôle d’un Etat colonial de peuplement qui continue de coloniser agressivement la terre et de déplacer les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte.

La désintégration du champ politique national a eu plusieurs répercussions. Les institutions nationales représentatives ont disparu au profit des élites politiques locales. Les dirigeants ont tiré leur « légitimité » de leur ancien parti ou de postes d’organisation et de leur interaction diplomatique avec des pays de la région et des institutions internationales. Le discours prévalant localement et internationalement a réduit la Palestine aux territoires occupés en 1967 et le peuple palestinien à la population vivant sous occupation israélienne, marginalisant ainsi les réfugiés et les exilés, ainsi que les citoyens palestiniens d’Israël. L’appareil sécuritaire en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza a considérablement augmenté, en taille et en part du budget global. La nature rentière des autorités dans les deux zones s’est ancrée grâce à l’aide étrangère et les envois de fonds, et l’influence du capital privé dans leurs économies a augmenté.

Il y eut aussi des changements importants dans la structure sociale de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. On a ainsi constaté l’émergence d’une classe moyenne relativement importante employée dans les institutions et agences de l’AP, dans des domaines comme l’enseignement, la santé, la sécurité, les finances et l’administration, ainsi que les nouveaux secteurs des services et bancaires, et les nombreuses ONG qui ont été créées. Entretemps, l’importance de la classe ouvrière a diminué. Les inégalités entre les différents segments ont augmenté et le taux de chômage est resté élevé, en particulier chez les jeunes et les nouveaux diplômés. Une mentalité de « fonctionnaire » a gagné du terrain, remplaçant l’esprit de combattant de la liberté. Bien que le Fatah et le Hamas se définissent comme des mouvements de libération, ils se sont transformés en structures bureaucratiques hiérarchiques et sont en grande partie axés sur leur propre survie.

Les élites politiques et économiques ont étalé sans vergogne leurs privilèges et leur richesse malgré la répression de l’occupation coloniale en cours. La classe moyenne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza sait très bien que son niveau et son mode de vie sont liés à l’existence des deux autorités autonomes. Néanmoins, une grande partie de la population continue de subir l’oppression et l’humiliation des forces militaires et des colons armés israéliens, et souffre non seulement du manque d’une vie décente et d’avenir professionnel, mais aussi de l’absence de toute solution nationale à l’horizon. Le siège draconien d’Israël et de l’Egypte reste aussi hermétique que jamais, ponctué de guerres israéliennes destructrices, et le nettoyage ethnique des Palestiniens de Jérusalem se poursuit inexorablement par les expulsions, les retraits de permis et toute une gamme d’autres tactiques.

En 1967, ces conditions ont préparé le terrain à une situation explosive dans les territoires occupés. Cependant, étant donné que l’OLP, les partis politiques, le secteur privé et la plupart des organisations de la société civile n’ont pas et ne pouvaient pas mobiliser contre l’occupation, les affrontements avec les forces d’occupation militaire d’Israël et les colons dans la « vague de colère » en cours depuis octobre 2015 sont pour la plupart restés individuels et localisés, et sans vision unifiée ni leadership national.

La désintégration du champ politique palestinien a également conduit à une montée de l’oppression et de la discrimination contre les communautés palestiniennes ailleurs en Palestine historique, comme dans la Diaspora. Les citoyens palestiniens dans la partie de Palestine qui est devenue Israël en 1948 sont confrontés à un train croissant de lois discriminatoires. Les réfugiés palestiniens en et de Syrie, au Liban, en Jordanie et ailleurs sont aussi confrontés aux discriminations et aux abus. Globalement, le statut de la cause palestinienne a connu un revers dans le monde arabe et au plan international, une situation exacerbée par les guerres intestines et externes dans quelques pays arabes.

Pourtant la culture prospère et nourrit l’identité nationale

Aujourd’hui, le peuple palestinien n’a ni Etat souverain ni mouvement de libération national qui fonctionne. Néanmoins, il existe une force considérable dans l’identité nationale palestinienne due en grande partie au rôle de la culture dans le maintien et l’enrichissement de la narration palestinienne. Le rôle de la culture dans le nourrissement de l’identité et du patriotisme palestiniens est ancien. Après la création de l’Etat israélien en 1948 et la défaite des élites politiques d’alors et du mouvement national, la minorité palestinienne en Israël a maintenu l’identité nationale par une floraison remarquable de culture – poésie, fiction, musique et films.

L’écrivain et journaliste palestinien Ghassan Kanafani a saisi cette réaction dans son ouvrage remarquable sur la littérature de résistance palestinienne (al-adab al-mukawim fi filistin al-muhtala 1948-1966) publié à Beyrouth en 1968. D’autres personnalités littéraires clés comprennent les poètes Mahmoud Darwish et Samih al Qasim, le maire et poète de Nazareth Tawfik Zayyad, et l’écrivain Emile Habibi, tant dans ses propres œuvres, comme The Pessoptimist, que dans le journal communiste qu’il a co-fondé, Al-Ittihad. Dans les années 1950 et 1960, lorsque les Israéliens ont maintenu les citoyens palestiniens sous régime militaire, la littérature, la culture et l’art ont servi à renforcer et à protéger la culture et l’identité arabes et la narration nationale palestinienne. Ces travaux furent lus dans tout le monde arabe et au-delà, et ont permis aux réfugiés et exilés palestiniens de maintenir leur identité par des liens continus avec la culture et l’identité de leur patrie.

Les « Palestiniens de 1948 », comme ils sont souvent nommés dans le discours palestinien, ont aussi joué un rôle en initiant d’autres Palestiniens et Arabes à la manière dont l’idéologie sioniste façonne la politique et les mécanismes israéliens de contrôle répressif. Beaucoup d’érudits et d’intellectuels palestiniens ont rejoint des centres de recherche palestiniens et arabes à Beyrouth, Damas et ailleurs, et ont aidé à élaborer cette connaissance.

Depuis lors, le domaine culturel a, en particulier en période de crise politique, offert davantage de possibilités que la sphère politique pour que les Palestiniens se réunissent dans des activités qui transcendent les frontières géopolitiques par les formes et genres culturels et toutes sortes de productions intellectuelles. La littérature, la musique de film et l’art continuent d’être produits – et sont même en hausse – allant d’écrivains, de réalisateurs et d’artistes de renommée mondiale d’aujourd’hui à Gaza et en Cisjordanie et parmi les Palestiniens ailleurs. Tout cela est communiqué de multiples façons, y compris par les médias sociaux, promouvant et cimentant les liens et les inter-actions intra-palestiniens et arabes à travers les frontières.

La vitalité du patriotisme palestinien est ancrée dans le récit historique palestinien et il s’appuie sur les expériences quotidiennes des communautés confrontées à la dépossession, à l’occupation, à l’expulsion et à la guerre. C’est cette vitalité qui pousse peut-être la jeunesse palestinienne, en grande partie née après les accords d’Oslo de 1993, à se confronter aux soldats et aux colons israéliens dans toutes les parties de la Palestine historique. Elle explique aussi les foules immenses qui accompagnent les processions funéraires des jeunes Palestiniens tués par des soldats et colons israéliens, et dans les participations aux collectes de fonds pour reconstruire les maisons détruites par les bulldozers israéliens comme punition collective des familles de ceux qui ont été tués dans le soulèvement actuel de la jeunesse.

Cependant, souligner l’importance et la vitalité du champ culturel ne compense pas l’absence d’un mouvement politique efficace construit sur des bases démocratiques solides. Nous devons tirer des leçons et transcender les insuffisances des institutions originelles du mouvement plutôt que de gaspiller des efforts, du temps et des ressources à restaurer un champ politique désintégré et défunt. Nous devons également aller au-delà des concepts et des pratiques dont l’expérience nous montre qu’ils ont échoué, comme le très haut degré de centralisation : la politique doit être la préoccupation de tous, de la hiérarchie à la base populaire.

Nous devons aussi préserver notre culture nationale des concepts et des approches qui asservissent l’esprit, paralysent la pensée et le libre arbitre, promeuvent l’intolérance, sanctifient l’ignorance et chérissent les mythes. Au contraire, nous devons promouvoir les valeurs de liberté, de justice et d’égalité.

Nous avons besoin d’une approche de l’action politique complètement neuve. On peut entrevoir cette approche dans le langage qui prend forme parmi les groupes de jeunes et dans les relations entre les forces politiques palestiniennes au sein de la Ligne Verte. Ce langage exprime une prise de conscience accrue de l’impossibilité de coexister avec le sionisme comme idéologie raciste et régime colonial de peuplement qui criminalise le récit historique des Palestiniens.

Au cœur de cette sensibilisation politique émergente, il est primordial d’engager les communautés palestiniennes dans le processus de discussion, de rédaction et d’adoption de politiques nationales inclusives : c’est à la fois leur droit et leur devoir. Il est également important de reconnaître le droit de chaque collectivité à déterminer sa stratégie en abordant les problèmes spécifiques auxquels elle est confrontée dans la participation à l’auto-détermination du peuple palestinien dans son ensemble.

Construire un nouveau mouvement politique ne sera pas facile étant donné les intérêts partisans croissants et la crainte des valeurs et des pratiques démocratiques. Par conséquent, il est nécessaire d’encourager les initiatives communautaires pour former des leaders locaux, avec la participation la plus large possible d’individus et d’institutions communautaires, en suivant l’exemple prometteur des Palestiniens de 1948 dans l’organisation d’un Haut Comité de Suivi des citoyens arabes en Israël pour défendre leurs droits et leurs intérêts, les Palestiniens de la Cisjordanie et de Gaza dans la Première Intifada. Le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) est aussi un exemple réussi de ce nouveau type de sensibilisation et organisation politique. Il rassemble diverses actions politiques, des organisations de la société civile et des syndicats derrière une vision et une stratégie unifiées.

On peut considérer cette analyse comme utopique ou idéaliste, mais nous avons un besoin impérieux d’idéalisme au milieu du chaos actuel et du sectarisme destructeur. Et nous avons une histoire riche d’activisme politique et de créativité culturelle sur laquelle nous appuyer.

(1) Cet article est extrait d’un travail de recherche que j’ai présenté lors de la conférence organisée par l’Institut d’Etudes palestinienne et le centre Mada al-Carmel, 7-9 novembre 2015, Université de Birzeit et à Nazareth.

jamilhilal
 

Source : Al Shabaka

Traduction : MR pour ISM