À deux pas de l’enfer / Laâbi Abdellatif

La poésie d’Abdellatif Laâbi est une poésie du présent, une célébration inconditionnelle de la vie malgré le temps qui passe. Le poète scrute avec ironie nos sociétés et explore les aléas de l’existence.
Sa poésie est imprégnée par la situation géopolitique du monde, des conflits et des guerres. Il assemble anecdotes et fragments de pensées personnelles et réaffirme les combats à mener pour plus de justice, d’égalité et de liberté.

 

Prix : 27chf

Le Sourire du dormeur – Anthologie poétique / Nouri Al-Jarrah

Cette anthologie poétique couvre l’oeuvre de Nouri al-Jarrah, grand poète syrien, de 1988 à 2019. Le livre s’ouvre sur les écrits les plus récents, de longs poèmes en plusieurs chants, inspirés notamment de la mythologie grecque, et marqués par la tragédie syrienne, pour aboutir à l’un des premiers recueils du poète, quand sa voix commençait à acquérir sa propre tonalité. Nouri al- Jarrah est sans doute l’un des très rares poètes arabes vivants, sinon le seul, à marier avec bonheur l’épique et le lyrique, qui plus est dans une langue où transparaît son souci constant de la sonorité des mots.

 

Prix : 35CHF

Douleur et lumière du monde -Précédé de Que la blessure se ferme et suivi de textes inédits – Tahar Ben Jelloun

Des poèmes et des aphorismes évoquant les tragédies et les beautés du monde contemporain pour en montrer la richesse et la complexité. Le poète relate également son enfance à Fès, observe le monde qui l’entoure et explore le sentiment amoureux. Des textes inédits complètent l’ouvrage.

Prix : 16chf

Nawel Ben Kraiem : «La poésie est un endroit où on a le droit d’être complexe»

07 JUIN 2021 | PAR DONIA ISMAIL

À l’affiche de la nouvelle édition des Arabofolies de l’Institut du monde arabe, la chanteuse tunisienne revient avec un recueil intime et politique, «J’abrite un secret» (ed. Bruno Doucey).

Donia ISMAIL : Vous clôturez cette nouvelle édition d’Arabofolies à l’Institut du Monde Arabe, placé sous le signe de l’empouvoirement («empowerment»), qui s’appelle «Obstin.é.e.s. Et vous, êtes-vous obstinée?

Nawel Ben Kraiem : Oui. Je crois qu’il faut une bonne dose d’obstination pour prendre la parole et faire bouger les lignes d’un système dont on sait qu’il est profondément injuste. Je l’ai cette dose d’obstinée.

DI : Ces injustices dont vous parlez, c’est ce besoin de les combattre qui vous a poussé sur la scène?

NBK : La scène est un endroit de combat. Si on y vient, c’est parce que l’on a un besoin de prendre la parole. Cependant, la scène et ce recueil sont un prisme artistique sublimé. Ce n’est pas exactement les mêmes armes.

DI : Vous publiez, «J’abrite un secret» (ed. Bruno Doucey), votre premier recueil de poésie. Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de faire de la poésie?

NBK : J’en fais depuis longtemps, sans le nommer ainsi. Depuis que je suis en âge d’écrire, j’écris dans des petits carnets. J’y dépose mon regard sur le monde, des pensées, des réflexions, des émotions… Quelque chose entre le sensible et l’intellectuel. Pour moi la poésie, c’est vraiment cet endroit entre la pensée et l’émotion.

C’est l’art cousin de la chanson car elle commence par des mots déposés entre la pensée et l’émotion. Puis, on les retravaille, on les confronte à une mélodie. La poésie est, à mon sens, une forme plus libre. Je laisse les mots trouver leur espace. J’avais besoin, à un moment, de cette liberté-là, de ce silence.

DI : Qu’est-ce que la poésie apporte de plus que la chanson?

NBK : Une assise en moi-même, quelque chose de très singulier. Chacun a sa spécificité, sa nuance dans sa façon de s’exprimer. «J’abrite un secret» correspond à ma pudeur. Autant je me retrouve dans une forme de radicalité, d’absolu dans ce que je recherche dans un monde plus féministe, plus antiraciste. Autant je ne me retrouve pas du tout dans l’ère du témoignage. Pour moi, la poésie est l’inverse des raccourcis. C’est un endroit où on a le droit d’être complexe, profond, d’être à la fois léger et grave, révolté puis très prévenant par rapport à ses proches et à ses blessures. La poésie m’a permis tout ça. C’est l’art de la nuance, de dire les choses précisément et en secret.

DI: À la lecture de vos poèmes, on ressent une forte influence rap. Quelles ont été vos inspirations?

NBK : Une des premières cassettes que j’ai beaucoup écoutées, c’était «L’École du micro d’argent», de IAM. Je pense que je pourrais encore sortir plusieurs de leurs lignes. Ce qui m’intéressait était la beauté de certaines métaphores, la force des images qui raconte une réalité sociale. En grandissant, j’ai découvert l’art de la punchline chez des artistes comme Youssoupha ou Booba. J’aime quand Youssoupha dit : «J’suis noir deux fois, Je suis renoir». Ce n’est pas tant trouver la bonne image, mais plutôt trouver le mot percutant.

DI : Pourquoi ce titre, «J’abrite un secret»? Finalement, dans ce recueil, vous donnez à voir ce qui se passe dans votre vie, dans votre intime…

NBK : C’est une façon de dire que l’on peut dire les choses avec pudeur. Ce n’est vraiment pas une poésie pour dire de se taire. Au contraire. Il est important de nommer les choses. C’est peut-être la première étape avant d’arriver à un monde plus juste. Je m’inscris dans cette continuité-là. C’est une parole qui libère certaines émotions. Ça m’a fait du bien de les déposer, de parler de mon vécu.

Cependant, le thème du secret permet de laisser au lecteur projeter ses propres fractures. J’ai été élevé culturellement dans cette atmosphère, où le linge sale se lave en privé. Si on le prend par l’endroit du tabou et de la censure, cela peut être une arme également. Il faut trouver les espaces pour les dire, les déposer. Le thème du secret concilie ces deux choses-là.

DI : Finalement, vous racontez la contradiction de se mettre à nu…

NBK : Je pense profondément que c’est important de le faire parce que c’est là que l’on va rencontrer les autres. Cependant, faisons-le en respectant nos secrets, car ce sont nos spécificités.

DI : Dans «Labyrinthe», vous écrivez : «Il paraît que tu nies / La ville où tu es née / Tu as sali ton nid». Est-ce que l’exil est une trahison?

NBK : Ça peut être vécu ainsi. Il n’y a pas une seule manière de vivre l’exil. Ça m’arrive d’être très apaisée voire même fière, puis de ressentir une forme de culpabilité. Cette phrase-là raconte une révolte. On va avec tellement de fantasmes vers l’ailleurs. Quand il nous déçoit, il a y cette impression de s’être fait piéger, et cette culpabilité d’avoir quitté sa patrie. C’est une double peine.

DI : Dans ce recueil, vous rendez hommage à une grand artiste algérien, décédé lors du premier confinement : Idir. Vous dites : «Passeur de rêves / Passeur de rives». Quel a été sa place dans votre vie?

NBK : C’était une figure vraiment apaisante. C’était important après une partie assez dure sur les souvenirs d’enfance, de mettre en avant cette figure familiale. Ce n’était ni un père ni un oncle, mais une voix que l’on écoutait beaucoup.Je ne comprenais pas tout car nous ne sommes pas berbérophones dans la famille. Je sentais déjà que c’était une fierté pour mes parents. Il y a cette magie dans ses chansons, qui nous enveloppe, qui concilie les deux cultures. Il fait vraiment partie de ses figures de fierté, de résilience.

Nawel Ben Kraiem clôtura cette nouvelle édition d’Arabofolies, le 26 juin 2021. Les billets de ce concert ainsi que la totalité du programme sont à retrouver sur le site internet de l’Institut du Monde Arabe.

visuel : ©Victor Delfim

 

Retrouver l’article original dans TOUTE LA CULTURE.

Le royaume d’Adam et autres poèmes / Amjad Nasser

Amjad Nasser est le pseudonyme de Yehia Awwad al-Nuaymi, célèbre poète, romancier et chroniqueur jordanien né en 1955 et unanimement considéré comme un maître du poème en prose. Son dernier recueil, Le Royaume d’Adam, qui vient de paraître alors qu’il se trouve entre la vie et la mort, rongé par un cancer du cerveau, est salué comme un chef d’oeuvre, grâce notamment à son souffle épique en résonance avec La Divine Comédie. C’est l’occasion de publier, enfin, en français une anthologie substantielle et plusieurs fois retardée de son oeuvre poétique.

 

Prix : 27chf

Yahya Hassan / Yahya Hassan

Un recueil de poèmes autobiographiques d’un fils d’immigrés palestiniens qui dénonce les conditions de vie des migrants au Danemark. L’auteur évoque son enfance et son adolescence, la violence, la fraude sociale, la communauté musulmane et l’islam.

Prix : 28CHF

Voyage Poétique À Travers Le Monde Arabe

ONORIENT vous invite à découvrir les plus belles plumes poétiques de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. De Cordoue à Abu Dhabi, du Xe siècle à aujourd’hui, voici une traversée dans le temps et l’espace, à la découverte des vers qui ré-enchantent le monde. Une première anthologie concoctée par nos rédacteurs, avec 10 poètes qui nous inspirent.

Wallada

Wallada bint al-Mustakfi, née en 1091 à Cordoue (Espagne)

Princesse Andalouse née au 10ème siècle, Wallada était la fille du dernier Calife Ommeyade de Cordoue. Figure culturelle de l’époque, elle organisait régulièrement des salons littéraires à son domicile, des Majaliss Al Adab  où se rencontraient philosophes, poètes et artistes. Jeune fille romanesque, elle participait souvent à des joutes poétiques où elle déclamait ses sentiments avec ferveur et audace. Mais sa plus grande source d’inspiration reste surtout son histoire d’amour tapageuse avec le poète Ibn Zaydoun, une relation qui, si elle créa la polémique dans le Cordoue de l’époque, lui inspira ses plus beaux poèmes et vers blessés envoyés à son amant.

Sois prêt pour ma visite à l’obscurité,

parce que la nuit est la meilleure gardienne des secrets.

Si le soleil sentait l’étendue de mon amour pour toi,

il ne brillerait plus,

la lune ne se lèverait plus,

et les étoiles s’éteindraient d’émoi.

Tahar Djaout

Né en 1954 à Tizi Ouzou (Algérie)

27 Jan 1987, Probably France – Algerian author, poet, and novelist Tahar Djaout (1954-1993) – Image by © Sophie Bassouls/Sygma/Corbis

Quand nous abordons l’œuvre de Tahar Djaout, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer à quoi aurait ressemblé la suite de son magnifique travail.

Victime, parmi les premiers de ses pairs, dans un attentat non pas seulement contre la vie de cet homme, mais aussi contre le peuple algérien qui a perdu durant la dernière décennie du XXe siècle, un grand nombre de ses intellectuels, et avec, une partie de son identité.

Tahar Djaout, a laissé des écrits sérieux, dénonciateurs et ironiques, mais aussi des poèmes discrets et sensibles. Son œuvre dans son inachèvement reste complète dans un sens, car chargée de sa propre symbolique. Essentielle, elle brave et nargue jusqu’à nos jour ces mains traîtresses et assassines, qui lui ont ôté la vie mais pas l’immortalité.

Je regagne ma nudité :

Une pierre lavée par les crues ;

Je réintègre mon mutisme :

Un silence d’enfant apeuré.

Habiterai-je un jour

Cette demeure rêvée :

Ta blessure – ô délices ! –

Où le soleil s’assombrit ?

Tahar Djaout, extrait de « Pérennes », 1983

Abou El Kacem Chebbi

Né en 1909 à Tozeur (Tunisie)

Il est un révolté aux fines épaisseurs romantiques. Son œuvre parfois spleenétique naît dans un bouillon d’influences, le contexte des romantiques, parnassiens et symbolistes européens, mais aussi des poètes arabes classiques. À l’université, Chebbi sera militant avant de rejoindre le groupe Taht Essour (« Sous les remparts »), un rassemblement d’artistes et d’intellectuels tunisiens. Tahar Bekri a décrit dans Le goût de Tunis cette réunion d’amis comme des « désargentés, pessimistes et désespérés de leur état mais qui se vengeaient de l’adversité par l’ironie et l’humour noir ». Chebbi proclame la nécessité de rénover la société. Le poète vise aussi bien, dans une actualité toujours tranchante, les musulmans intégristes et le colonialisme français. Poète de la vie qui prévaut sur la douleur, assoiffé de Tunisie et d’universel, il s’éteint sans voir l’indépendance de son pays pointant le jour.

 

Allons, réveille-toi, prends les chemins de la vie

Celui qui dort, la vie ne l’attend pas.

N’aie crainte, au-delà des collines,

Il n’y a que le jour dans sa parfaite éclosion.

Abou El Kacem Chebbi, O fils de ma mère, traduit par Ben Othman, dans Cent poèmes pour la liberté, édition le Cherche Midi, 1985

Joyce Mansour

Née en 1928 à Bowden (Angleterre)

Élevée au Caire dans la société cosmopolite anglophone, Joyce Mansour perd sa mère à l’âge de quinze ans, et quelques années plus tard son premier époux. Elle fréquente les salons littéraires où elle rencontre Georges Henein, fondateur du groupe surréaliste égyptien Art et Liberté. Son premier recueil, Cris, stupéfie André Breton : « J’aime, Madame, le parfum d’orchidée noire – ultra noire – de vos poèmes. ». Au Caire, sa parution fait scandale. Érotique, transgressive, sa poésie louvoie avec la mort et les pulsions. Elle fuse, incisive et radicale, scandée, pleine d’images de corps, de fluides et de parfums de fleurs.

 

Ouvre les portes de la nuit

Tu trouveras mon cœur pendu

Dans l’armoire odorante de l’amour

Pendu parmi les robes roses de l’aurore

Mangé par les mites, la saleté et les ans

Pendu sans vêtement, écorché par l’espoir

Mon cœur aux rêves galants

Vit encore.

Joyce Mansour, Déchirures (1955), in Joyce Mansour. Oeuvres complètes : prose et poésie, éditions Michel de Maule, 2014

Georges Schéhadé

Né en 1905 à Alexandrie (Égypte)

Georges Schehadé à Paris en 1987

Georges Schéhadé écrit ses premiers poèmes dans ses cahiers d’écolier. Sa famille déménage à Beyrouth où il vivra l’essentiel de son existence. Il occupe un poste dans l’administration française, voyage et rencontre les poètes Jules Supervielle et Saint-John Perse. Baignée dans un songe, son écriture fait naître un jardin imaginaire adossé à la montagne. Colombes, pluies et arbres fruitiers rythment les saisons, et la mer se dessine à l’horizon. Rapprochée du surréalisme, son écriture limpide cristallise les images. Ses poèmes gagnent en dépouillement, devenant autant d’éclats dans le blanc de la page. Il écrivait : « Le silence est la villégiature des mots ». Le titre de ses recueils, “Poésies” numérotées de I à V, est à l’image de cet exercice d’épure.

 

Il y a des jardins qui n’ont plus de pays

Et qui sont seuls avec l’eau

Des colombes les traversent bleues et sans nids

Mais la lune est un cristal de bonheur

Et l’enfant se souvient d’un grand désordre clair

Georges Schéhadé, Poésies II (1948), in Les Poésies, NRF Poésie/Gallimard, 2001

Adonis

Né en 1930 à al-Qassabin (Syrie)

Ali Ahmad Saïd Esber, alias Adonis, poète et critique littéraire syro-libanais né en 1930. / Magali Delporte / Picturetank

En signant Adonis à partir de 1948, le poète syrien ‘Alî Ahmad Sa’îd fait acte de renaissance. Le dieu Adonis est une figure de la mythologie grecque, d’origine syrienne. Par ce nom, il inscrit sa poésie dans l’espace méditerranéen et sous le sceau de l’exil. Cofondateur de la revue Shi’r (“Poésie”) en 1957, Adonis désire ressourcer la poésie arabe et la faire entrer dans la modernité. Il renoue avec les poètes d’avant l’islam et les penseurs soufis, et traduit les poètes occidentaux. La poésie est pour lui une exploration de la langue et une expérience existentielle. Elle naît de la rencontre avec l’autre, et puise sa lumière d’un voyage entre les cultures. Les poèmes d’Adonis sont portés par une voix, un souffle et un rythme. Ils sont une force agissante projetée vers l’avenir. Son écriture compose une conscience éclairée qui résiste à toutes les idéologies. L’image du vent traverse cette écriture qui souhaite ouvrir un horizon universel.

Je t’ai nommée nuage

Ô blessure, tourterelle du départ

Je t’ai nommée plume et livre

et me voici entamant un dialogue

avec la langue engloutie

dans les îles en partance

dans l’archipel de la chute ancienne

Me voici enseignant le dialogue

au vent et aux palmiers

Ô blessure, tourterelle du départ

Adonis, « La Blessure », Chants de Mihyar le Damascène (1961), traduction de Anne Wade Minkowski et Jacques Berque, NRF Poésie/Gallimard, 2002

Mahmoud Darwich

Né en 1941 à al-Birwa (Galilée)

DR

Mahmoud Darwich gagne le Liban après la création d’Israël en 1948. Après plusieurs séjours en prison, il choisit l’exil qui le mènera de Beyrouth à Paris. Le lyrisme de ses poèmes est habité par des motifs qui dessinent le paysage de sa terre natale. Les oiseaux, les amandiers, le fleuve, le pain et le café sont autant de signes intimes de la Palestine. Cet imaginaire quotidien porté par une langue harmonieuse touche très tôt un public immense, parmi les Palestiniens, dans le monde arabe et au-delà. Empreinte d’humanisme, sa poésie reflète l’expérience du déracinement et de la prison, et fusionne le souvenir personnel à l’histoire collective. Le choix économe des mots condense la brisure identitaire et la rencontre avec l’altérité sous la figure de l’ennemi ou à travers le visage de l’amoureuse étrangère, Rita. Les vers libres sont marqués par une exigence de musicalité et le chant des pages devient un choeur, puisque de nombreux poèmes sont aujourd’hui devenus des chansons.

Par les fenêtres de cet espace dernier, miroirs polis par notre étoile.

Où irons-nous, après l’ultime frontière ?

Où partent les oiseaux, après le dernier

Ciel ? Où s’endorment les plantes, après le dernier vent ?

Nous écrirons nos noms avec la vapeur

Carmine, nous trancherons la main au chant afin que

notre chair le complète.

Ici, nous mourrons. Ici, dans le dernier défilé. Ici ou ici,

un olivier montera de

Notre sang.

Mahmoud Darwich, « La terre nous est étroite » (1966-1999), in La terre nous est étroite et autres poèmes, traduction d’Élias Sanbar, NRF Poésie/Gallimard, 2000

Joumana Haddad

Née en 1970 à Beyrouth (Liban)

Joumana Haddad en 2007

Elevée dans une famille très catholique au Liban, Joumana Haddad réalise très tôt qu’elle ne veut pas rester dans les barrières que son milieu veut bien lui imposer. Pour celle qui se dit avoir été élevée au marquis de Sade et aux Mille et une Nuit, les mots traceront sa route vers l’émancipation. Une aisance du verbe qu’elle utilise pour dénoncer le machisme des sociétés arabes, et l’intégrisme des religions dans Superman est un arabe ou J’ai tué Schéhérazade, confidences d’une femme arabe en colère. Journaliste, écrivaine, et poétesse, elle est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes érotiques dont Le retour de Lilith et fondatrice de la première revue érotique écrite en arabe par des auteurs arabes.

Ne soyez pas effrayés des livres, même les plus dissidents, “immoraux”. La culture est un pari sûr dans la vie, qu’elle soit haute, basse, éclectique, pop, ancienne ou moderne.

Joumana Haddad, J’ai tué Schéhérazade: confessions d’une femme arabe en colère, 2010

Nazik Al-Malaika

Née en 1922 à Bagdad (Irak)

DR

Considérée comme la pionnière de la poésie arabe moderne aux côtés de son compatriote Badr Shakir Assayab, Nazik Al Malaika déclenche une véritable révolution dans le paysage littéraire du XXe siècle en composant des vers libres.

A travers l’abandon du système métrique classique (rime unique et deux hémistiches) c’est moins une rupture qu’une revivification de la longue tradition littéraire arabe qu’elle veut faire advenir.

Idéaliste et profondément musicale, son œuvre exprime les illusions perdues de son pays, l’Irak, qu’elle quitte une première fois pour les Etats-Unis, puis le Liban, le Koweït et enfin l’Egypte, où elle s’éteint en 2007, à l’âge de 85 ans.

Partisane de la liberté de création dans son art, engagée pour la cause des femmes dans ses essais, nationaliste arabe dans l’âme et palestinienne de cœur, Nazik fut une dissidente totale. En un mot, une intellectuelle.

Notre vie nous l’avons dédiée à la prière
Et pour qui donc prierions-nous, si ce n’est pour les mots.

Nazik Al-Malaika, « Pourquoi redouter les mots ? » Choléra (1947) traduction de Barbara Graille

Farah Chamma

Née en 1994 à Dubaï (Émirats arabes unis)

Farah Chamma / copyright al-Ahram Weekly

Jeune palestinienne, passionnée et créative, âgée de 22 ans elle étudie le droit et les sciences politiques à l’université Paris-Sorbonne d’Abu-Dhabi. Elle commence à écrire des poèmes à l’âge de 14 ans. Farah Chamma maîtrise quatre langues (le français, l’anglais, l’arabe et le portugais). Elle performe les poèmes qu’elle écrit, accompagnée d’une musique de Oud, c’est pour elle la façon la plus efficace pour avoir un impact sur la société. Elle a participé à diverses compétitions internationales comme le festival de littérature d’Emirates Airline. Parmi ses poèmes qui ont le plus fait sensation « I am no palestinian » et d’autres qui ont créer une certaine polémique comme « How must I believe » où avec amertume elle reproche la fausseté de la société arabe. Cette jeune poétesse représente le nouvel élan créatif des jeunes et leurs voix. Insouciante des tabous de la société, elle a su franchir les lignes épineuses de la société dans laquelle elle a grandi. C’est donc avec grande admiration qu’on lui souhaite une carrière prospère et réussie.

Prenez tout ce que je sais

Et jetez-le dans le Nil

Comme la mère de Moïse a fait

Ne me demandez pas d’où je viens

Ni où je suis née

Ne cherchez pas à savoir qu’est-ce qui est écrit sur mes papiers

Je (ne) suis personne, un nomade, une âme perdue, un simple esprit nomadisé

Je suis la langue, sans mètre, sans rime

Je suis l’arabe, le persan, le latin, le germanique

Je suis la langue non-maîtrisée

Farah Chamma, “Table Rase”

 

Retrouvez l’article sur le site de ONORIENT

Le Cédrat, La Jument et La Goule – Alqama Ben ‘Abada

Poursuivant sa prospection de la poésie arabe préislamique, Pierre Larcher nous livre une fort belle traduction de trois poèmes, avec d’abondants commentaires éclairant leur histoire, leur structure et leur contenu anthropologique et mythologique. Le premier, Le Cédrat, attribué à « Algama b. » Abada, est parfois considéré comme une mu’allaga (selon la légende, poème suspendu par vénération au mur du Temple de La Mecque). Le titre renvoie au parfum de la femme aimée, Salmâ, dont le premier mouvement du poème évoque le départ sur son palanquin. Le deuxième, la Jument, oeuvre d’un poète mineur, Khidâsh b. Zuhayr, fait allusion à un raid qui a mal tourné et à une jument, Dahyâ’, dont le cavalier, aïeul du poète, est invoqué comme symbole de la foi jurée. Le troisième, enfin, La Coule, est du surnommé Ta’abbata Sharran (littéralement, Celui qui a pris le mal sous le bras), qui y raconte son combat avec une goule qu’il a vaincue et décapitée, version arabe du mythe de Persée et Méduse, chargée d’évidentes connotations sexuelles. Chaque poème est précédé d’une introduction qui résume ce que la tradition nous dit du poète et de son oeuvre, et interprète le poème en insistant sur ce qu’il peut apporter à notre compréhension de la poésie arabe préislamique. L’annotation qui suit le texte, donné en arabe et en français, fonde l’interprétation sur les plans linguistique et stylistique.

Un homme. Ni plus ni moins. – Présente absence – Mahmoud Darwich

Poésie
Un homme. Ni plus ni moins.

Mahmoud Darwich écrit une nostalgie poétique faite de souvenir et d’introspection. Lorsque le temps de l’ultime bilan sonne, ils sont trois à attendre qu’arrive l’absence : l’homme, le poète, et l’amoureuse de toujours nommée imagination.

D.R.
« Tu t’éloignas alors, déconcerté par le fil rompu entre le réel et l’imaginaire, entre une guerre racontée et une guerre vécue. »
BIBLIOGRAPHIE
Présente absence de Mahmoud Darwich, traduit de l’arabe (Palestine) par Farouk Mardam-Bey et Élias Sanbar, Actes Sud, 2016, 160 p.
Par Ritta Baddoura
2016 – 05
Présente absence est l’avant-dernier livre paru du vivant de Mahmoud Darwich en 2006. Dix ans après, Actes-Sud/Sindbad édite sa traduction inédite en français. Elle est signée Farouk Mardam-Bey et Élias Sanbar. Mahmoud Darwich avait exprimé le souhait de voir ces textes traduits par ses deux amis. Présente absence réalise ce vœu et permet aux éditions Actes Sud de boucler tout en grâce et en intériorité un cycle de parutions de l’ensemble de l’œuvre poétique du grand poète comprise entre 1995 et 2008, outre deux anthologies rassemblant des morceaux entre 1977 et 1992.
« Les lettres sont devant toi, arrache-les à leur neutralité et joues-en comme un conquérant dans le délire de l’univers. (…) Ainsi t’habita la fascination de la cadence et du conte. Tu t’éloignas alors, déconcerté par le fil rompu entre le réel et l’imaginaire, entre une guerre racontée et une guerre vécue. »
Est-ce l’amplitude de l’amitié triangulée entre ici et là-bas qui a permis de traduire la poésie de Darwich avec une sobre simplicité qui sied à la teneur du recueil et à son rang symbolique de dernier du cycle ? Une simplicité qui libère le rayonnement du style inégalable de Darwich malgré les filtres de la traduction. Ce rayonnement est tel que le lecteur a l’impression d’être familier des textes, de les connaitre un peu alors même qu’ils lui sont, pour la plupart, nouveaux et auréolés du goût unique de la prose-poésie darwichienne. Teintée de la méditation de l’esprit et des sens, épique, politique, amoureuse ; particulière car d’un lyrisme jamais jamais suranné. Le lecteur y retrouve le ton propre à Darwich, à la fois intime et impertinent, et sa poétique nimbée d’universel mordue soudain d’ironie.
« Et toi, tu es toi et plus que toi./ Habité, tel un immeuble, avec ceux qui montent les escaliers et ceux qui les descendent vers la rue. Habité d’ustensiles de cuisine, de lessiveuses, de disputes entre époux quant à la meilleure façon d’éplucher les pommes de terre, de frire le poisson. Une légère douleur à l’estomac à laquelle succède une douleur métaphysique : les anges peuvent-ils attraper une rhinite ?/ Et toi, tu es toi et moins que toi./ (…) Et tu es, à la fois, toi et pas toi./ Divisé en un dedans qui sort et un dehors qui entre. Tu es libre de t’isoler avec une franche liberté… libre d’asseoir l’imagination sur tes genoux. »
Présente absence est une halte durant laquelle culpabilité, nostalgie, honte, désir, vanité et humilité se rencontrent et s’évanouissent dans un même élan. Cet ouvrage porte la complexité, les contradictions, les regrets, les failles, les rêves et la sagesse de toute une vie. Il n’a pourtant rien de grandiloquent ou d’excessif. Rien en lui qui pèse ou qui déborde. Juste un écoulement persistant, parfois plus intense ou plus ténu selon les pages. Conquérant, vaincu et survivant, à la fois Troyen, Peau-rouge et Grec, Darwich semble avoir trouvé par-delà douleur et joie, une sorte d’apaisement. En tout cas l’apaisement nécessaire pour livrer un dialogue intérieur avec son autre moi : celui qui persistera parce qu’il sera lu, sa part d’ombre ou de lumière, cet autre lui-même détenant le pouvoir de compléter sa solitude.
« La prison est densité. Quiconque y a passé une nuit se sera exercé à un semblant de chant. (…) Et toi si tu chantes, ce n’est pas pour partager la nuit avec quiconque ou mesurer la cadence d’un temps sans cadence ni borne, mais parce que ta cellule t’incite aux doux échanges avec le dehors, cette part manquante à ta pleine solitude. »
« Aussi as-tu, dans la foule, la nostalgie de toi-même, d’une solitude pour écrire. »
C’est vers la complétude, parfois celle de la rencontre, plutôt celle de la solitude, que tend Darwich tout au long des poèmes. Il désire que l’absence qu’il porte, la négation qui le divise, se manifestent à lui pleinement. Ou qu’il parvienne à poser véritablement les yeux sur le manque. Il use surtout de sincérité, mais aussi de littérature, de psychologie, de diplomatie, de philosophie pour revenir sur les terres du passé. Depuis l’enfance, l’aventure, l’amour, les compagnons d’idées et d’armes, l’exil, les non-retours, l’écriture en permanence, jusqu’aux temps récents de la dernière maturité. Le regard qu’il pose sur lui-même semble détaché, quelquefois résigné. Mais bienveillant. Peut-être est-ce la force de l’amitié et de l’amour qu’il a pu partager, la résonance singulière qui a lié sa voix à la voix de la Palestine, la douceur qui dure depuis la petite enfance, et fondamentalement la gloire du poète qu’il est, qui le soutiennent le long de ce recueil et lui permettent d’écrire – et d’aimer – ce qu’il est : un homme. Ni plus ni moins.